Ostracisme à l'ouest de Paris ? Les gens du voyage chassés par le projet de Pentagone français à Balard (2015)

 >  Cet article a été sélectionné et publié simultanément par Le Plus du Nouvel Obs.
Il y est accessible via ma page en ligne http://leplus.nouvelobs.com/jackydegueldre

Le futur Pentagone français, qui rassemblera à Balard (Paris 15e) les états-majors et l'administration centrale de la Défense nationale dès 2015, sera un hexagone « furtif » (sic) et même une « machine naturelle », agrémentée de jardins et de « lieux de convivialité », annoncent les maîtres d'ouvrage.
Oui mais. Du coup, les gens du voyage, pour lesquels la Ville de Paris voyait un site d'accueil dans le quartier, seront soigneusement tenus à distance. Un des acteurs victimes du bras de fer témoigne...

La mise en ligne publique de données et de dossiers administratifs a priori « sensibles » est certes un bonheur pour l'exercice de la démocratie directe, fondée sur la transparence totale de l'information. Mais ce doit parfois être un crève-coeur pour certains responsables ou hauts fonctionnaires. Qui préféreraient sans doute, à cette nouvelle aspiration des réseaux citoyens au savoir informatif universellement partagé, davantage de discrétion, voire une tacite application de la bonne vieille règle du « secret Défense ».
Car aujourd'hui, quand la Grande Muette l'ouvre sur Internet, ça peut faire jaser. Démonstration.
Abordant régulièrement dans mon blog de commentaires le concept d'intelligence stratégique créative, individuelle ou collective, je m'y intéresse tout naturellement à ceux qui disent en faire leur métier. Et parmi lesquels certains, parfois, sont soupçonnés d'intelligences avec l'ennemi. Entendez par là, au pluriel, des communications secrètes. Nota bene: pour qui ignorerait éventuellement ce vocable significatif, 'Intelligence service' est la traduction anglaise de 'service de renseignement', l'anglais étant resté plus proche du verbe latin inter-lego, intelligo, au sens premier je discerne, je lis entre (les lignes), je comprends...
Et donc, une curiosité adventive (cf. un article récent sur le concept d'intelligence adventive dans les réseaux sociaux) m'a amené récemment à aller faire un tour sur le remarquable site de la DGSE. Remarquable parce que, quand même, ça nous change des barbouzes à fausses barbes et silencieux sur le canon. D'autant que, comme tout le monde pouvait le découvrir sur ce site il y a quelques jours encore, la DGSE y proposait aimablement et ouvertement, via l'onglet thématique Modernisation, un accès au dossier de presse du « regroupement des états-majors de la Défense nationale et de l’administration centrale du ministère de la Défense et des Anciens combattants à Balard », diffusé le 31 mai 2011. Un dossier public donc, que l'on peut aussi trouver sous une adresse plus directe, http://www.info-chantier-balard.fr/b_fichiers/DP_Balard%202015_31052011.pdf
, ce qui devrait encourager tout citoyen lambda soucieux d'exercer sa compétence civique à le consulter.



Monumental ET furtif?

Parcourant le dossier, j'y lis notamment que le site de Balard, une réalisation confiée à Opale Défense, un « groupement conduit par Bouygues Construction » (offre préférée, en février dernier à celles d'Eyffage et de Vinci), accueillera dans trois ans, sur quelque 16 hectares au total, « 9300 personnels militaires et civils ».
Que les immeubles de la Cité de l'Air, sur la « parcelle Est », rénovés par les soins de l'architecte Pierre Bolze de l'Atelier 2/3/4, offriront « une cohérence retrouvée autour du végétal et d’un centre de vie ».
Que le projet central ou « parcelle Ouest », signé par l'architecte Nicolas Martin & Associés, sera « un bâtiment composite, régalien et monumental mais aussi discret et furtif », très paradoxal assurément, « un bâtiment innovant, à la fois enceinte stratifiée, topographie insolite, et machine naturelle ». Une sorte de structure hexagonale complexe équipée d'un « dispositif de ventilation naturelle » par trois grandes « cheminées aérauliques », qui « produira une partie de son énergie grâce aux capteurs photovoltaïques répartis sur une surface de 7000 m² (extensible jusqu’à 17000 m²) et à la géothermie ».
Le tout composant « une architecture spatiale du commandement, des lieux de convivialité, des jardins », dans laquelle « les hautes autorités et le pôle opérationnel sont à proximité, protégés et sécurisés au coeur du bâtiment ». Tandis que, « A l’extrémité occidentale du site, la corne Ouest sur trois hectares comprendra quatre immeubles de bureaux composés autour de cours plantées ouvrant toutes sur un cheminement vert et public ». « Un campus tertiaire urbain évoluant au milieu d’un parc paysager », titre le dossier pour cette corne d'abondance confiée au très médiatique Jean-Charles Wilmotte.
...Si tout cela n'est pas un magnifique exemple de « greenwashing » communicationnel, me dis-je, voilà en tout cas qui devrait intéresser grandement un de mes amis, éco-conseiller dans le secteur BTP, auquel je transmets illico l'info. Et voici son édifiante réponse du même jour, dans l'heure et dans son jus.

Godillots furtifs contre va-nu-pieds ?

« Toujours sur le pont! J'apprécie hautement ces informations dont je n'avais une connaissance que fort partielle. En revanche, une info qui n'apparaît pas, et pour cause, c'est que ce projet en a écrasé un autre, dont je suis un des acteurs principaux, qui est une des trois aires parisiennes d'accueil des gens du voyage, qui était, jusqu'à fin 2010, située en extrémité Ouest du site "la corne occidentale", juste à côté.
Le pentagone français ne pouvait se permettre d'accueillir à proximité élite mondiale de la géostratégie avec les va-nu-pieds. C'est une des nombreuses batailles perdues par Delanoë, et nous avec!
Je te joins l'extrait du plan sur lequel nous avons travaillé, pour ton information. Projet dans lequel l'écologie avait un sens majeur, contrairement à "la machine naturelle", BEURK! »

Troublé, je demande alors à mon témoin de premier plan quelques compléments d'information à propos de ce nouvel affrontement de David contre Goliath. Et voici ce qu'il me répond alors, et que je me contenterai de citer, in extenso aussi, à la virgule près.

« C'est fort simple: Paris essaie de se mettre en conformité avec nos lois d'accueil des gens du voyage. Les services de la ville détectent trois sites: celui-là, bois de Boulogne et bois de Vincennes. A Boulogne (Paris 16e) le maire d'arrondissement n'en veut pas et fait tout pour faire capoter le projet: réussi, les arguments étant tous fallacieux. A Balard c'est le Préfet qui intervient au nom de l'Etat, cohabitation trop risquée, ce qui n'est pas faux, surtout pour les gens du voyage!!! Il faut savoir que c'est le site le plus urbain, qui aurait pu permettre a ces gens d'accéder a l'hôpital Pompidou tout proche, objet principal de ce projet. C'est pas grave, les itinérants atteints de cancer n'ont qu'à aller mourir plus loin. Le dernier site est au bois de Vincennes. Là le projet devrait se faire, et c'est certes à Paris, mais loin de tout, de l'hôpital, des écoles, des commerces et des transports... C'est beau non? »

Voilà. Observateur critique mais lointain des faits, je laisse à cet ami, témoin privilégié de ces grandes manoeuvres politico-militaires, la responsabilité des conclusions préoccupantes qu'il en tire. En ajoutant simplement que le plan d'aire d'accueil pour les gens du voyage, fourni par lui à l'appui de ses dires – et qui devrait aboutir à Vincennes, route du fort de Gravelle, autre lieu au passé militaire -, porte sur un projet de 26 places seulement, sur un site « encastré par les talus qui ceinturent l'ensemble » et organisé en clairière de campement, avec des emplacements « en béton taloché ». Rien de très spectaculaire, ni d'écologiquement dérangeant non plus, au contraire. Mais que peuvent 26 caravanes contre l'armada des bâtiments furtifs de l'Etat-Major de la Défense? (JD)

P.S. La coïncidence des mails a voulu que je reçoive le même jour d'une autre amie écologiste, responsable des relations extérieures d'une grande ville française, le programme politique rédigé, non sans esprit de dérision, par l'équipe de l'actuel maire de Reykjavik, Jon GNARR. Celui-ci, par ailleurs humoriste à la radio et à la télévision, a été élu en 2010 après avoir créé en 2009 le Besti Flokkurin (Best Party): « Ainsi, tout le monde sait qu’il est le meilleur. C’est mieux ». Dans le registre 'protection des minorités', on notera que, comme me le précise mon informatrice, « sa directrice de communication s’occupe de la sauvegarde des ours polaires »...
A propos de transparence et de démocratie, comment résister au plaisir d'extraire de ce programme farfelu cette savoureuse, quoiqu'un tantinet racoleuse et populiste, parodie du discours politiquement correct usuellement répandu !

La transparence Le Best Party est parfaitement transparent. Nous voulons jouer cartes sur table. Nous organiserons des réunions pour débattre de toutes sortes de choses. Nous mettrons tous les documents dans des dossiers, tout le monde pourra les consulter et tenir des réunions sur leur contenu. Nous encouragerons le débat démocratique à propos du Best Party et des meilleures options. La transparence est le fondement d’une démocratie active.
La démocratieLa démocratie est la meilleure des choses. Nous voulons des débats démocratiques, une société démocratique d’individus qui constituent une nation construite sur une démocratie active et transparente. C’est très bien pour tout le monde. Nous voulons une société démocratique où les individus peuvent débattre démocratiquement du Best Party et ce qu’il y a de meilleur. Nous sommes le seul parti d’Islande à vouloir ouvrir une plateforme téléphonique où les citoyens pourront appeler et discuter avec d’autres citoyens de la démocratie ouverte.
LOL? Morts de rire? Quand on demande à Jon GNARR quel modèle philosophico-politique l’a inspiré pour créer son concept politique, il réfléchit quelques secondes et répond sans hésiter : Les Marx Brothers. Fight non sense with non sense !