Ma route de pierre (3): je suis cuit, mon short aussi !

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Mardi 17. En avant pour une troisième semaine de route, après un repos bienvenu d'une journée à Conneux, entité de Ciney, joli village pierreux gris-bleu où m'accueille amicalement Pascale dans sa petite maison jaune. Chevetogne et Rochefort, où la roche, schisteuse, est tout sauf forte, ne sont guère éloignés. Sur la carte. Sur la route où les côtes et les jolies descentes se succèdent, autant que les camps scouts qui la jalonnent, c'est autre chose. Un dernier regard dans le miroir avant le départ…

Mon but du jour, ce sont les carrières de Wellin et/ou Tellin, non loin de la Vallée de la Lesse et de l'autoroute des Ardennes qui l'enjambe. Mais pour cela, il faut d'abord effacer la butte de Mont-Gauthier et la longue côte au sortir de Chevetogne, aller chercher la Lesse à Rochefort, trouver le départ du magnifique itinéraire Ravel qui file presque tout droit vers Lavaux-Ste-Anne sinon Beauraing, plus loin (ne pas se laisser distraire par l'amène cycliste de 80 ans qui vous entraîne dans sa direction en vous recommandant de voir Ciergnon!). Et enfin sortir vainqueur de la dépression de la Famenne qui, quand il fait beau, n'a rien de déprimant. Fatigant, plutôt.
Bref, quand j'aborde Wellin il est tard et je me trouve devant un dilemme: gauche ou droite?

Ayant moi-même atteint mes limites du jour, je renonce sans mal à la pénible rampe entrevue à gauche et je choisis le Fond des Vaulx, un toponyme qui sonne plus authentique et a l'avantage d'être au fond. Bien vu! Mais la carrière -énorme- étant déjà fermée, j'y reviendrai demain. En attendant, chouette surprise de la route, c'est un patro flamand, plus de cent petites et jeunes filles de Zwevegem (Courtrai), qui va m'accueillir pour la nuit sur la prairie de son campement à l'entrée de Wellin, au pied d'une belle bâtisse de pierre. Et même, en prime du gîte, m'offrir le couvert, partagé avec toute la sympathique équipe des intendants (ils disent "fourriers") du camp.
Merci à la charmante Fleur, chef de camp, à ses braves parents et aux cuistot(e)s qui font de si jolis desserts…

Le lendemain, mercredi 18, grâce à l'amabilité de l'équipe de garde de CFV et du "Capitaine Crochet" - qui se reconnaîtra dans ce surnom! - je passerai près de deux heures à explorer et filmer en tout sens et en toute quiétude la longiligne carrière du Fond des Vaulx, où la pierre calcaire est vouée au concassage, sort moins glorieux mais tout aussi utile que la pierre de taille.
Et puis, au hasard d'une strate ou d'une veine, on peut toujours y trouver un beau fossile, voire un petit joyau comme cette précieuse incrustation d'un beau mauve… Dommage que je ne puisse pas m'éterniser.

…De Wellin à Tellin, dit comme ça c'est pas loin, mais ça grimpe bien dans le coin. Halma, Resteigne, Chanly, vieux souvenirs d'enfance et de camps Estu dans la région, à une époque où je ne réalisais pas qu'ici aussi, bien sûr, puisqu'il y avait de la pierre partout il y avait des carrières. Aujourd'hui d'autres carrières m'attendent, de schiste et donc d'ardoise, du côté d'Herbeumont et Bertrix.
Mais il me faudra d'abord franchir les bien nommées Barrières de Transinne et Libin, les petits "juges de paix" de nos Ardennes cyclistes. A Chanly j'attaque une interminable grimpette de, grand dieu est-ce possible, dix ou douze kilomètres?, vers le col de Transinne, bientôt rejoint par une meute de coureurs cyclistes à l'accent guttural, tous emmaillotés de vert. Une cinquantaine de Danois lancés comme moi dans un Tour des Vallons wallons. Certains m'encouragent au passage. Séquence émotion et gloriole quand je franchis enfin la Barrière de Transinne, accompagné par les applaudissements des Danois qui s'y sont arrêtés et me font une haie d'honneur: Comme dans la montée de l'Alpe d'Huez, dis donc! Mais inutile de chercher la photo, je n'en ai pas, et pour cause…

 

Trop occupé à pédaler, pour avancer, sortir de la vallée de la Lesse et rejoindre l'étape, qui ne sera pas encore Bertrix, trop éloigné vu l'heure, mais Paliseul, où mieux vaut ne pas arriver seul… Pas vraiment accueillant, ce gros bourg de passage sur la route des contrées bien plus touristiques de la Semois au sud. Des fermiers plutôt méfiants à l'égard des étrangers, paraît-il, un syndicat d'initiative qui visiblement n'en prend pas, bref ça ne respire pas l'hospitalité ardennaise. Heureusement, sur mon chemin il y a le jeune Maxime, mécanicien et futur pompier volontaire, sorti sur le pas de sa porte avec son gamin, comme un fait exprès. Maxime qui devine mon problème et sans hésiter me passe les clés de la maisonnette rénovée qu'il n'occupe plus et qui sera ma chambre pour une nuit. Ah si tout le monde était comme lui, ce serait si simple. Salut Maxime et grand merci, on se reverra encore !



Autre jeune sympa,Thibaut, qui m'accueille le lendemain après-midi au Coeur de l'Ardoise. Grâce à lui, je vais pouvoir me faire le plaisir de filmer longuement sous terre les fameuses ardoisières de Bertrix - un gisement schisteux qui, dit-on, s'étend jusqu'à Martelange.
C'est aussi Thibaut qui me donne ensuite un bon tuyau pour ma route: pour rejoindre plus facilement Herbeumont sur la Semois, je n'aurai qu'à prendre le "pré-Ravel" qui passe sur le viaduc tout proche. Très joliment baptisé "La voie des pierres qui parlent"… Quelques légers détails toutefois ont été tus par lesdites pierres qui parlent: non seulement la voie comprend de très surprenants tronçons pavés en plein sous-bois, mais une partie de l'itinéraire est en fait le chemin privé d'un chantier à l'abandon, barré de troncs morts et livré à la gadoue. Et quand on se sort de ce parcours d'obstacle forestier, ce qui avec mon attelage relève de l'exploit olympique, c'est pour se retrouver devant l'entrée toute noire d'un tunnel en courbe dont on ne voit pas la fin, trois ou quatre cent mètres plus loin…  


 L'arrivée à l'auberge du Randonneur à Herbeumont fait donc figure de véritable délivrance. Surtout quand l'aimable aubergiste, fille de la Gaume toute proche, m'explique qu'à quelques kilomètres plus au sud vit un vrai vieux tailleur de pierre intarissable sur sa passion. Et me voilà reparti pour Fontenoille, sous Sainte-Cécile, tout près de Florenville. Après une nuit passée à même le sol de son petit atelier, au milieu d'une forêt de marteaux et massettes, je vais avoir la chance et le plaisir de partager une demi-journée d'Alfred Lejeune, alerte octogénaire qui oeuvre depuis ses treize ans dans la pierre, comme son père. Tout en s'occupant de son grand fils handicapé et de mille autres choses, il trouvera le temps de me présenter son remarquable musée personnel et d'aller me montrer les deux carrières où il continue à travailler la pierre.Un homme infatigable! 

  


Fatigué moi je le suis. Mais, en ce vendredi 20, il me faut encore rejoindre Martué, au-delà de Chassepierre où se trouve une des carrières d'Alfred. Car là-bas, au creux d'un méandre encaissé de la Semois, se situe le "lodge" de la Base Aventure XCape où je vais passer ma prochaine nuit, seul au milieu des bois comme le fit l'écrivain Henry Thoreau jadis.

Mais aujourd'hui, pour le chef-instructeur Jean-Claude, c'est moi, "l'aventurier qui fait le tour de Wallonie avec moins de dix euros par jour". Un vrai compliment dans la bouche de ce gars-là.
...Alfred m'a recommandé d'aller jusqu'à Orval la belle abbaye en pierre de Gaume. Je connais mais j'ai promis, j'irai, ce samedi 21, jour de fête, et de "drache" nationale bien sûr. J'irai même jusqu'à y prendre un verre de la délicieuse trappiste. Et puis, tiens, du coup, j'irai même jusqu'à Meix-devant-Virton, après m'être trompé de route. Et avant que l'aimable Jacques Roussel, boucher retraité, ne sorte sa bicyclette de la boucherie pour me faire un bout de chemin jusqu'au chantier du sculpteur de pierre Fernand Tomasi, que je ne pourrai rencontrer.
Revenir demain? Oui, certes, Monsieur Roussel, mais il faudrait d'abord que j'atteigne Etalle où j'ai décidé de m'étaler pour la nuit, sur un matelas de pétales, du moins l'ai-je rimé ainsi.
Cette fois encore celui qui m'offrira le gîte c'est un autre jeune sympa, Christopher, le cuistot de l'Auberge d'Estalle où je me suis arrêté pour manger. Et devinez quoi: le drap du lit de la chambre d'ami est de soie rouge, comme un pétale de rose!

Tant de chance doit se payer un jour. Heureusement que j'ai bien dormi cette nuit-là, tout comme la chouette qui ronfle si bruyamment dans le clocher voisin - ce n'est pas une blague: probablement que les cloches qui sonnent à tout moment, et à toute volée en ce dimanche matin, l'empêchent de dormir le jour.
Oui, heureusement que je repars bien reposé d'Etalle vers Habay et sa route nationale avec piste cyclable (non sans un petit détour préalable par le musée lapidaire de Montauban à 6 km), parce que le plus dur m'attend.
Pour arriver chez mon pote Olivier à Martelange (au pied des ardoisières), c'était l'affaire d'une heure ou deux croyais-je. Ce sera au moins le double. D'abord il faut grimper quelques fort belles côtes. Et quand on parvient sur le pont surplombant la Nationale 4, altitude 475 mètres, c'est pour s'apercevoir que rien n'est prévu par là pour les cyclos allant sur Martelange (qui n'est plus qu'à six kilomètres). Conséquence: demi-tour vers Heinstert à 3 km ; ensuite à droite vers Vlessart à travers la vaste forêt d'Anlier et la vallée cabossée de la Rulles (avec une rampe interminable), et puis au grand carrefour de la forêt, à droite encore vers Martelange qui se fait désirer. Et c'est parti pour des kilomètres de montagnes russes à travers bois, conclus par une vertigineuse descente sur le village de Martelange côté belge. A l'entrée duquel un radar pointe mon attelage en folie à 48 km/h, avant que je ne déboule dans une rue en travaux complètement défoncée. C'était trop. Même mon short indestructible a définitivement craqué! ^^J