Lettre à un ami français à propos de la "Françallemagne" de Julliard et Marianne


Salut Charles. J'ai enfin lu le papier de Julliard
Il t'interpelle, dis-tu. Moi aussi, et dans le même sens, sans doute.
Je dirais même qu'il me laisse perplexe. Il y a à boire et à manger: ça démarre un peu dans la panade, la fumée et les clichés (les gnomes de Bruxelles, les canards sans tête, Rome qui brûle, l'Angleterre continentale), ça hésite sur le souverainisme franchouillard (achetons français, vive la culture françaïse), ça revient fort et fort heureusement sur le fédéralisme politique européen et les Etats-Unis d'Europe - avec un coup de griffe à la Commission en passant. 
Mais quelle idée ringarde, absurde, parfaitement francocardière et définitivement ethnocentrée que cette Françallemagne, censément "acte fort" vers une ipso facto troisième puissance mondiale: comme si tous les autres Européens attendaient pantelants que la France - la France, Monsieur ! -  prît les rênes du couple franco-allemand pour dicter sa conduite à une Europe infantilisée et incapable de savoir où elle va politiquement, sans la vision de Césarkozy, placé sous l'aile tutélaire et le patronage conceptuel paneuropéen du tandem Saint-Simon/ Augustin Thierry. Des Français!, Monsieur, qui ont su penser l'Europe des peuples, un siècle avant Jean Monnet et Robert Schuman (des Français, bien sûr!), compte non tenu des obscurs Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi, Joseph Bech, Johan Willem Beyen ou autre Paul-Henri Spaak (tiens, un p'tit Belge qui pensait grand, c'est rare, c'est pas comme ce mou-du-genou de Ventrondpuits, au charisme de "serpillière humide" dénoncé par Farage le sauvage). 
Merdre! Comme dirait de Gaulle - c'est Marchais qui disait au peuple d'acheter français, tandis que de Gaulle, lui, prophétisait l'EUrope des régions -, je "conchie" ces quarterons d' intellectuels parisiens, incapables d'imaginer que quelque chose de grand puisse s'imaginer fors la pensée française ou ailleurs qu'à Paris, et encore moins à Londres  ou toute autre capitale non francophone. 
"Le non de 2005 était moins un non à l'Europe qu'au libéralisme": bin tiens, c'est facile à dire, maintenant que tout le monde a vu et compris où menait l'ultra-libéralisme keynésien! Ah, ce 'génie' français qui avait tout compris, tout prévu, tout prédit, qui vilipende à tout propos les institutions européennes et qu'exaspère Bruxelles quand l'Union entend légiférer sur le bordeaux, le bourgogne, le camembert et les moules de bouchot (à quoi tient encore symboliquement la souveraineté française, on se le demande, maintenant que Chanel se chine en Chine?). Mais un génie... talleyrandien, qui sait si bien, d'une seule pirouette intellectuelle, se faire soudain le chantre musclé de la grande Europe des nations souveraines, voyant un royaume en sa res publique, se gargarisant de sa culture germanophile - il sait écrire sans faute Weltanschauung, dis donc- et se régalant néanmoins de ses pouvoirs françois régaliens (de rex, regis, le roi) et supposés pérennes.
Aaah, quel inimitable double-langage que le français quand il est pratiqué avec cet art consommé de la duplicité... "Nos amis allemands", tu parles. On dirait du Henri Guaino un soir de débat-bidon à Lille en 2008, quand il parlait avec une condescendance à peine voilée de "notre ami belge", son voisin de panel dont il n'avait sûrement pas mémorisé le nom, un certain Di Rupo, déjà ministre-président des Wallons mais pas encore premier ministre des Belges. (Faudra que l'espine-doctor du Président  glisse le nom à Nicolas en caractères gras dans son prochain briefing, histoire que l'autre n'aille pas donner maladroitement du Monsieur Dix-roupettes à son visiteur belge). Notre ami belge, nos amis allemands...
 Tu sais ce qu'il lui dira, le tsar Nicolas, à la grosse Merkel , une fois qu'elle aura dégagé son quintal de bockwurst? Casse-toi, pauv'conne teutonne!
 Pur esprit français. Faut dire que si le couple franco-allemand promis est à l'image de l'assemblage Carla-Angela, on voit tout de suite où est la graisse et qui aura la grâce...

Me suis bien lâché tiens, ça fait plaisir. Je vais bien dormir.  
Merci Charles !