Une fois n'est pas coutume, plutôt qu'une question de société sur laquelle je pourrais revenir dans la foulée (« les sociétés de la peur »?), j'aimerais aborder ici une question d'ordre individuel sinon personnel posée, pas plus tard qu'aujourd'hui, sur un forum de réflexion consacré aux sciences neuro-cognitives: que faire de sa peur?
« Je me trouve confronté au phénomène que à chaque fois que je me trouve en position de percée je tombe dans un comportement de panique: je vois, je sens l'opportunité, la capacité de la réaliser et en même temps je suis envahi par une peur, une frousse qui me fait tout rater. J'ai le sentiment qu'à chaque situation de percée je suis comme tiraillé entre le succès et l'échec, le jour ou l'abîme.
J'ai pleins d'hypothèses. Je n''arrive pas à associer ces phénomènes de situations spécifiques à mes contenants qui semblent me faire une vilaine association de malfaiteurs.
Je lance cette question à celui ou celle ou ceux qui a/ont envie d'aller essayer de m'y faire voir peut-être plus clair. »
Réponse suggérée par l'expérience: La peur, ça se raisonne !
"La seule chose dont nous devons avoir peur c'est de la peur elle même" comme disait Roosevelt. La seule peur qui soit acceptable, compréhensible voire bénéfique, la seule peur que nous devons avoir, c'est la peur de la peur. Cette peur-là au moins est un signal utile, une façon de (re)connaître ses limites...pour mieux les franchir.
Toute autre peur est contre-productive puisque auto-anxiogène. La peur panique, notamment, qui est une forme critique de peur surgissant dans les situations événementielles irruptives et disruptives (par exemple quand je suis soudain confronté au risque majeur, physique ou autre, et à l'obligation de m'y affronter, avec un risque d'échec) ne fait objectivement qu'augmenter les raisons d'avoir peur, car elle fait perdre à quiconque ses moyens au moment même où il ou elle en a le plus besoin. Et amplifie dès lors les conséquences négatives probables de la panique et d'un risque mal assumé.
La peur dans ce cas n'est donc pas la voix de la raison, mais bien LA raison d'avoir peur. Au contraire, la voix comme la voie de la raison c'est d'apprendre à écouter sa peur pour s'en servir et se dépasser, au-delà du risque ainsi mesuré, apprécié, objectivé et par avance vaincu. Alors, la peur-signal devient une simple prescience intuitive du danger et un bon moteur pour aller de l'avant, préfrontalement*. Se sublimer, alors et littéralement, c'est passer directement de la fuite (devant l'obstacle) à l'activation d'action maîtrisée, sans passer obligatoirement par la case "lutte" (contre sa peur, contre le danger), puis la case "inhibition" (renoncer devant l'obstacle), ce qui paraît certes un enchaînement logique mais comporte encore trop de freins-moteurs, d'anti-valeurs,que ce soit l''entêtement à se battre tête baissée, l'obstination dans l'erreur invicible, l'obligation de se prouver quelque chose, l'énergie du désespoir, l'aveu d'échec final etc. Cela étant, tout obstacle est là pour être surmonté, "tout est un chemin, même l'obstacle", parole d'orfèvre du nomade Ibn Saoud.
Je parle ici de situations périlleuses vécues en escalade (une pratique sportive à recommander pour la maîtrise de soi à quiconque cherche son équilibre, sans jeu de mots, surtout à tous ceux qui confondent vertige maladif, rarissime - 1 humain sur 10.000 - et peur du vide, fréquente, communément partagée et, pourrait-on dire, salutaire: un bon grimpeur est un grimpeur en vie, dit l'adage, quelqu'un donc qui connaît ses limites, qui sait avoir peur et écoute sa peur, sans la nier ni lui succomber). Quand je suis en difficulté sur le rocher, quand ma bouche devient sèche, mes mains et mon front moites, quand l'extrémité de ma jambe droite se met à trembler irrésistiblement sur l'appui ténu, comme un amplificateur automatique de frousse nerveuse, comme une baguette de sourcier qui détecterait l'onde profonde du danger, quand je réalise soudainement que j'ai peur (que j'ai peur d'avoir peur! ): alors j'écoute ma peur, je l'analyse lucidement, je l'accepte sans honte, je la remercie de l'avertissement, ce qui me calme instantanément et nécessairement. Et je peux me concentrer sur l'obstacle, que j'appréhende positivement et que je franchis dans un élan jubilatoire, en route vers la victoire sur moi-même. C'est sans doute pour cette raison qu'en escalade nous parlons de "voies" à ouvrir ou réussir, même s'il s'agit de suivre... les failles du rocher, sans parler des nôtres.
Sachons suivre nos lignes de faille, débusquer les raisons cachées ou inavouables de nos peurs. Raisonnons-les. Souvent ce que nous croyons être une crainte fondée, ou la peur de l'échec probable, revers humainement disqualifiant, est d'abord son avers naturel souvent ignoré, la peur de la réussite, cette peur de la victoire que connaissent bien des athlètes, qui les tétanise dans l'effort ou qui les fait hésiter à vaincre. Car, à l'instar du sauteur Bob Beamon qui devint, un temps paraît-il, neurasthénique ou dépressif après son exploit olympique inégalé à 8,90 m, ils savent qu'en reculant ainsi leurs limites, ils s'obligent à aller toujours plus loin, ou plus haut, à produire encore et toujours plus d'efforts, jusqu'à l'inaccessible, humainement parlant. Et ils y renoncent anticipativement, cette attitude pouvant expliquer bien des 'actes manqués' réussis, des Fosbury-flops comportementaux mal négociés qui se ramassent une gamelle (un "vrai flop"), des carrières de champions qui tournent court, ou des retours ratés à la compétition de la vie... Des excuses, après coup, on s'en trouve toujours, mais c'est trop tard. Paradoxalement, c'est quand on s'en trouve d'avance que c'est le plus inquiétant! D'emblée on justifie sa peur (son échec?) comme inéluctable, on accepte son emprise paralysante, on se la vend complaisamment, disons même plus, on se la fabrique!
Notre peur de la suite, de la plongée hasardeuse dans l'inconnu, ou du moins notre tendance à la procrastination des actes à poser, n'aurait-elle pas tout simplement, dès lors, quelque chose à avoir avec, non seulement la paresse à produire de nouveaux efforts, mais aussi et surtout l'orgueil? L'orgueil handicapant de vouloir à toutes forces ne pas rater, ne pas faillir, ne pas faiblir, ne pas perdre. Un orgueil quasi inconscient, mal placé en tout cas, limbique, dont le centre de gravité serait cette fameuse peur "au ventre", qui semble nous nouer les tripes, alors que, on le sait, "c'est dans la tête que ça se passe". Or le secret, paradoxal, d'un fosbury-flop bien enroulé et réussi par le sauteur en hauteur, ce n'est pas tant le rouleau non plus ventral mais dorsal, véritable retournement de situation il est vrai, c'est surtout que le centre de gravité de l'athlète reste sous la barre sans plus chercher à passer au-dessus, effort louable mais inutile. Il suffisait d'y penser. L'astuce volant au secours de la victoire. Et ça, c'est vraiment de l'intelligence préfrontale*. Comme le simple choix, devant l'obstacle, de dominer sa peur irrationnelle... (JD)
* N.B. Le terme employé ici renvoie à la notion de préfrontalité, mise en avant, c'est le cas de le dire, dans l'approche méthodologique neuro-cognitive et comportementale (ANC). Laquelle méthode situe dans nos territoires néo-corticaux préfrontaux le siège primordial, le contenant, de notre intelligence adaptative, réflexive, créative, ouverte aux autres. Pour ne pas dire de cette 'intelligence adventive' et potentiellement collective dont j'ai fait le sujet prospectif d'un article récent. http://jackydegueldre.blogspot.com/2011/05/lintelligence-adventive-comment-les.html