C'est une belle et authentique histoire qui vient de se passer à Bruxelles. Un conte de Noël, dirait-on, si nous n'étions à la veille de la St-Nicolas.
... Il s'appelle Alfred (nom d'emprunt) et, au début de cette semaine encore, il était sans-abri, vivant depuis près de deux ans dans la rue, suite à une longue et triste dégringolade dont rien ne sera dit ici pour respecter une discrétion bien de circonstance. Car l'homme était discret, se tenant dignement loin du monde, hormis une vieille dame alitée qu'il allait saluer tous les jours et qui ignorait tout de sa condition. Là il se réchauffait un peu en lui tenant compagnie puis, chaque soir, revenait tout aussi discrètement dormir sous le porche profond qu'il s'était trouvé. Loin du centre-ville et de ses clinquants plaisirs divers, près de belles résidences bien gardées feignant d'ignorer sa présence, les yeux clos derrière d'épaisses et lourdes tentures d'indifférence...
Une jolie fée vint à passer, qui vivait dans le voisinage et dont quelque facétieux lutin sylvestre finit par attirer l'attention sur l'habitant de l'ombre. Prenant son courage à deux mains, elle l'alla visiter. Une fois, deux fois, trois fois elle lui porta la soupe, s'essayant timidement à faire connaissance avec le déjà moins malheureux Alfred. Très vite elle décida de lui chercher un abri, entreprenant d'abord de le loger à l'hôtel pour une nuit au moins, le temps de lui trouver une chambre à demeure.
La nuit venue et Alfred bien au chaud, la jolie fée prit donc la plume pour écrire à ses voisins et quémander de l'aide. L'un d'eux était un vrai roi-mage qui s'ignorait, mais qui fut tout de suite ému par cette belle missive glissée nuitamment sous sa porte. Par chance – mais comme plus d'un en ville - il disposait d'une pièce inoccupée, au pied de son immeuble. Ce fut vite décidé: le temps de retrouver la clé et Alfred y logerait. De plus, proposa-t-il à la bonne fée, nous allons lui procurer un petit travail dans ma société, pour qu'Alfred puisse se refaire un moral en même temps qu'une santé.
Aussitôt dit, aussitôt fait: aujourd'hui même, à la grande joie d'Alfred et de sa fée, un contrat s'est signé! Saint Nicolas n'en revient pas! Et il n'est pas le seul...
Le lutin du bois
Moralité. Si, dans chaque pâté de maisons, chaque ilôt d'immeubles, sinon chaque immeuble cossu de la capitale, deux ou trois âmes charitables se rassemblaient et se mobilisaient pour prendre momentanément et collectivement en charge, manière d'alléger le fardeau, le sort d'un sans-abri, d'un seul de ces pauvres hères, un seul entendez-vous, bientôt plus personne ne mourrait de froid dans les artères glacées du cœur de l'Europe. Cette semaine pourtant, dans les rues de Bruxelles quatre sont morts, paraît-il, très discrètement, dans le froid et dans l'indifférence générale.