BASIC EINSTEINCT « Every day is a great day to be creative » @Ideastimulator on Twitter, « Il y a about 18 hours from web »

Savez-vous comment on trouve une idée? Bien souvent c'est en en cherchant une autre. Ou en ne cherchant pas. Ou en rebondissant sur une idée qui passe et qui vous renvoie à votre idée première. Démonstrations de la semaine.

Ce mardi, suivant une formation pédagogique en ANC -l'approche neurocognitive et comportementale- à propos des positionnements relatifs dominants/soumis, je formule lapidairement, en 140 signes sur Twitter, l'intuition théorique que « le positionnement grégaire est la force d'inertie de la résistance au changement ». Elémentaire, me direz-vous.

Le lendemain, que lis-je dans mon journal, à propos de la grogne des « chauffeurs désoeuvrés » du Parlement wallon, contraints à une certaine oisiveté par un règlement plus strict d'octroi des voitures de fonction? Que « le mécontentement de certains chauffeurs » s'explique, selon une députée de l'opposition, « par la résistance au changement de la part de certains « mâles dominants qui n'aiment pas qu'on les dérange ». Sic! Et CQFD.

Je continue. Ce matin, pour une interview en forme de témoignage didactique sur les échecs de la communication interpersonnelle, j'essaie de me remémorer une désastreuse présentation de campagne publicitaire vécue, voilà trente ans, face au plus gros client, français, de l'agence, d'origine française elle aussi, dont j'étais alors directeur créatif en Belgique. Renault et Intermarco (Publicis) si vous voulez les noms.
Bref. Je me projette l'histoire en question dans la tête, essayant de visualiser la bobine de ce patron, nouvellement arrivé en poste à Bruxelles. Mais dont on avait omis de me dire que, contrairement à son prédécesseur, Hubert d'A., aristo et énarque – qui l'accompagnait ce jour-là, par courtoisie, pour faire élégamment les présentations – Monsieur Roger était un autodidacte, self-made man sorti du rang après des débuts comme OS sur les chaînes de fabrication de Boulogne-Billancourt. Pas de chance: j'ai un infini respect pour les baroudeurs qui ont ce genre de parcours de vie, mais ils sont rarement préparés à ce qu'on leur serve en apéro rince-dalle un cocktail raffiné de phénoménologie, de Gaston Bachelard, d'onirisme et d'immensité intime. Si vous voyez ce que je veux dire...

RANDOM MEMORY

Ce jour-là, ma campagne d'intello et moi, on en avait donc pris plein la tronche, passez-moi l'expression. Tout ceci explique que, effaçant de ma random memory ce souvenir honni (pour du rap c'est joli), une seconde image bien plus drôle s'est vite imposée à mon souvenir en ce vendredi matin. Celle de cet autre directeur général, client affable et courtois celui-là qui, embarrassé des réticences de son directeur marketing – un vrai proctérien, canal historique - devant un large choix de headlines censés vanter la subtilité gastronomique de leurs pizzas surgelées, se penche sur la longue table réunissant nos deux états-majors et lance à la cantonnade médusée: « Je sais que Jacky » (c'est moi) « va encore penser que nous sommes des cons... » Et de la fermer, attendant manifestement une protestation polie de ma part. J'ai pensé très, très, très vite, comme un archer zen déjà dans la cible sans même avoir visé, je m'en souviens comme si c'était hier... et j'ai choisi délibérément de me taire. Sourires gênés, silence de plomb et stratégie payante: deux minutes plus tard, la réunion était pliée, nous raccompagnions poliment ces chers clients déconfits sur le seuil de l'agence et nous décidions de commun accord, mon patron et moi, que j'avais mieux à faire avec mon équipe que de flatter une pizza de toute façon carbonara.

Luxe créatif à l'époque, qui me donne en outre le plaisir, trente ans plus tard, de raconter cette savoureuse anecdote devant la caméra, avec un résultat bien meilleur.

TELL ME A STORY

Tell me a story. L'histoire du jour n'est pas finie. Un peu plus tard ce même vendredi, déboule dans ma biosphère cérébrale préfrontale (« Laboritoire » pour les initiés) mon cameraman-pédagogue avec son équipier et grand ami, formateur ANC patenté (voir supra) , dans le rôle des clients en quête d'un « baseline » saignant et bien signifiant pour le logo de leur nouvelle activité grand public, centrée sur l'éveil à la préfrontalité. Autrement dit l'intelligence adaptative et créatrice. Faisons-en donc preuve, restons zen. Je leur ai déjà fourni plus de 80 propositions de noms au cours de l'exploration multi-directionnelle qui a mené au choix final, j'ai même osé « Basic Einsteinct » pour rire, c'est dire...

Après mes 300 baselines pour pizzas cuisant au feu de moi je stresse un peu quand même, l'histoire indigeste va-te-elle se répéter? Il est pourtant question de maîtrise de la pensée, de bien-être et de sérénité. Réfléchissons. Pirouette créative: ET SI j'allais nous chercher un café? C'est souvent en s'isolant un instant que vient la grande idée...

... Je suis remonté avec les cartes de « Stratégies obliques » de Brian Eno dans la poche, deux tasses en mains, une petite cuiller et une capsule de lait pour le café. « Manque-t-il quelque chose?» suggérait ironiquement la première carte de la pile. Je ne vous dirai pas si nous avons trouvé ensuite et ensemble le bon baseline, ou manqué notre cible (« un dromadaire, c'est un cheval accouché par un comité, dirait l'adage, peu flatteur pour les médiocres brainstormings).

En tout cas il m'est venu comme prévu une bonne idée en chemin, du genre de celles qui font les grandes fortunes si on a l'intelligence de la garder pour soi. Dans le cas contraire, on l'offre généreusement à ses clients. La voici donc: les fabricants de capsule de lait devraient les munir d'une patte pliable un peu plus longue, pour en faire, une fois vidées du lait, des petites cuillers économiques et bien pratiques à récupérer pour touiller dans le café... Eh bien oui. What else?

©JD12102010


P.S. Pour que la morale créative soit sauve: j'ai tout de suite pris comme un défi le (relatif) échec de la première présentation au client Renault et me suis engagé à le surprendre à nouveau, positivement bien sûr. En sortant de cette réunion calamiteuse, en fait j'avais déjà ma petite idée. Et quinze jours plus tard, comme promis, nous étions devant lui avec un tout nouveau concept de « Voyages au long cours », qui l'a enthousiasmé autant que nous. Il nous a même aidés à vendre cette campagne à l'étranger, notamment à l'Allemagne. Il suffisait de le rejoindre là où il était, c-à-d. pas dans le rêve mais dans la réalité. Et ce client-là était tout sauf un con.