Lâches et valets


Pour qu’il y ait soumission, soumis (et insoumis), il faut qu’il y ait soumettant, ou soumetteur - à ne pas confondre avec souteneur, vocable paradoxal s’il en est pour désigner un dominateur.
L’approche neuro-cognitive, dérivée des travaux d’un Laborit sur les états d’urgence de l’instinct ( on connaît la séquence intangible : lutte, fuite, inhibition d’action), parle volontiers de positionnement grégaire (les soumis) et de dominant (le soumettant).
Dans ce contexte théorique, il m’est souvent arrivé de postuler paradoxalement que ”ce n’est pas le prédateur qui fait le troupeau, mais le troupeau qui fait le prédateur”. Ce n’est pas le prédateur qui se crée l’opportunité d’une proie qu’il domine, c’est la proie qui - individuellement et plus encore collectivement - s’offre à lui, par la frilosité même de sa présence apeurée, et cède d’emblée à l’inéluctable de sa propre mort. Par peur, abandon du combat, sidération, faiblesse, inhibition de ses facultés de défense, instinct non plus de survie mais de l’inutilité finale de ses vains efforts pour survivre.
Gène de la soumission naturelle au vainqueur? Peut-être. Sans doute. La loi du moindre effort, aussi propre à l’homme que celle de la pente la plus courte l’est à l’eau qui s’écoule, s’étend aussi au moindre effort d’autonomie, voire de pensée libertaire, voire de survie en liberté. Car il est toujours plus facile d’abdiquer sa liberté que de la conquérir. Le totalitaire a beau jeu, dès lors, de s’appuyer sur les peurs collectives et les émotions sidérantes pour installer son pouvoir et asseoir son emprise sur les masses qui s’abandonnent, avec soulagement sinon émerveillement, à leur nouveau maître à penser. Pas de pouvoir oppresseur sans opprimés potentiels...
”Faire ce que l’on n’approuve pas ou feindre d’approuver ce que l’on fait : l’un est d’un lâche, l’autre n’appartient qu’aux habitudes d’un valet”, écrivait fort justement Alexis de Tocqueville.
Nombreux sont les lâches, innombrables sont les valets. Tous, un jour, aussi courageux soyons-nous, nous avons été ou serons, par facilité, nécessité ou fatalité, l’un ou l’autre. Lâche ou valet. Même et surtout quand nous réagissons positivement à l’injonction paradoxale, ”indignez-vous”, soulevez-vous, manifestez-vous, secouez-vous, secouez votre joug. Nous obéissons, à la voix de notre conscience disons-nous, mais nous obéissons à ce qu’elle nous dicte.
Les ”insoumis" aussi ont été, et sont parfois encore, quoiqu’ils s’en défendent, des soumis. Réfractaires au système certes, mais un tant soit peu soumis quand même. Oui, sans doute est-ce dans nos gènes de dire moins facilement non que oui… 


(JD271117 - En réponse à la question posée par Philoma: "Y-a-t-il un gêne de la "soumission" ? Quelles conséquences pour la libération des organisations ?"...en commençant par ne pas confondre comme Philoma la gêne, circonflexe d'accent, et le gène,  quoique...))

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Dans son livre « Lost Ego », le philosophe François De Smet aborde entre autres les raisons qui nous rendent « conformistes » : l'accoutumance à la causalité, et donc au besoin de sens. Il évoque même un « gène » de la soumission. Au travers de réflexions qui rejoignent celles de Fromm, il pose que « l’acquisition de la liberté par l’homme ne peut se lire comme le récit trop simple d’une bataille pour la récupération d’un droit naturel dont il aurait été spolié par les puissants, mais plutôt comme le fruit d’un arrachement laborieux et conflictuel à sa propre nature. » Il en tire une hypothèse anxiogène : « l’autonomie humaine est une création, et le libre arbitre l’est aussi. Ego, « moi, je » est le nom de l’histoire que nous nous racontons pour refouler le caractère artificiel du libre arbitre. » (Philoma)