Remonté des limbes de mes archives au hasard d'une recherche d'information, le courrier/courriel ci-dessous répondait à deux collègues en journalisme, férus de bon français et néanmoins affiliés comme moi au réseau LinkedIn - où les échanges publiés sont régulièrement truffés d'anglicismes... Tel cet article récent évoquant le ”chatbot”, ”agent conversationnel” qui est "déployé" pour ”adresser” (sic) des tâches précises: une saillie absconse, objet d'un précédent billet de ma part.
Ici je rendais, au passage, un hommage appuyé à un jeune et courageux confrère journaliste brutalement décédé en Syrie, ce qui date assez précisément mes propos de février 2013.
Quoi qu'il en soit, ces considérations me paraissent suffisamment intemporelles, et pertinentes oserai-je ajouter, que pour être publiées dans une chronique du français actuel, bien mal en point...
A François et Anne.
Merci à l'un et l'autre pour vos roboratives interventions.
Sentez-vous comme moi, autour de nos échanges, ce silence prudent ou perplexe des journalistes francophones, groupe auquel nous appartenons, tous "linkedinés" à l'anglaise que nous sommes? L'observation des faits doit-elle aller de pair avec un silence complice?
Nos petits combats quotidiens contre l'approximation, la bêtise, l'ineptie véhiculées par ces abus de langage répétitifs, que nous dessoudons ici avec une délectation de tontons flingueurs, pourraient certes sembler bien dérisoires, voire mesquins, passéistes et inutiles. Et pourtant...
Au moment même où je commençais à rédiger cette réponse, une brève du Nouvel Observateur est apparue sur mon écran, informant du décès à 38 ans à peine, en Syrie, suite à ses blessures de guerre, du reporter-photographe français Olivier Voisin.
Je ne puis m'empêcher dès lors, non seulement d'avoir une pensée émue pour cet homme qui est allé avec courage au bout de son combat professionnel - à l’Ecole de journalisme déjà, les grands correspondants de guerre avaient toute mon admiration et il en est résulté un mémoire sur "L'événement-guerre" -; mais aussi d'oser un rapprochement qui ne choquera pas, j'espère, eu égard à ces circonstances dramatiques.
C'est que, pour bien informer, il n'y a pas de grand ou de petit combat qui ne vaille.
Si on doit lutter contre la barbarie, on peut dans le même temps lutter contre le barbarisme... Si ce n'est que, dans le second cas, on n'encourt guère que le risque du ridicule. Assumons-le donc.
Personnellement, j'ai choisi, par souci d'efficacité stratégique, de concentrer mes tirs sur l'épouvantable "au final", expression-culte des "décérébrés de service" (grand merci pour celle-ci, par contre, François, je l'adopte). Mais il est évident que chacune et chacun de nous peut avoir ses propres objectifs, voire ses obsessions lexicales...
Anne, ne lâchez pas prise et continuez à collectionner les "sur" malpropres! En restant "sur" le coup, voilà qui vous fera un excellent premier chapitre pour votre dictionnaire de mauvaise langue - qui pourrait de plus être un excellent enjeu collectif.
François, je note avec plaisir que, sur le front de Normandie, vous partez en guerre contre d'agaçants anglicismes, presque inévitables en ces temps de globalisation forcenée. Vos exemples sont très parlants, notamment cet ultime "en capacité de", dont use et abuse effectivement le secteur socio-culturel. Je pense aussi à cette nuance, censément subtile, que les mêmes essaient de nous vendre, entre 'efficace' et l'anglophile 'efficient'.
Précisément, si vous voulez de l'efficacité (dans une chronique du Monde, par exemple?), faites attention de ne pas disperser votre feu. Un ennemi à la foi croyez-moi.
D'autant que, si vous faites bien de nous rappeler que l'on "se rappelle" transitivement quelque chose, et non pas "de" quelqu'un ou quelque chose, vos autres cibles s'avèrent plus floues. Ainsi, vérification faite dans le bon vieux dictionnaire Boiste (1828, quand même), "se baser sur" y est déjà mentionné, comme néologisme certes, mais voilà près de 200 ans déjà... Je crains que cette bataille-là soit perdue.
Quant à "l'opportunité", qui vous agace manifestement les oreilles, elle est également présente, comme "qualité de ce qui est opportun" et "occasion favorable", dès le début XIXe dans le Boiste. Et bien française du reste puisque, tout comme l'anglaise "opportunity", elle va chercher son origine dans une commune "opportunitas" favorable, commodité que connaissait déjà César ("opportunitates loci", les avantages de la position, Gaffiot 1936). Reste que beaucoup de vocables français passés par l'anglais nous en reviennent en "faux amis". Donc, oui, "in fine", restons sur nos gardes...
Moi aussi, j'ai été long, excusez-moi. Je cherche encore le moyen de dire en une seule ligne tout ceci, pour mieux convaincre. Mais "Au final, c'est nul" risquerait d'être mal interprété!
Ici je rendais, au passage, un hommage appuyé à un jeune et courageux confrère journaliste brutalement décédé en Syrie, ce qui date assez précisément mes propos de février 2013.
Quoi qu'il en soit, ces considérations me paraissent suffisamment intemporelles, et pertinentes oserai-je ajouter, que pour être publiées dans une chronique du français actuel, bien mal en point...
http://www.resonews.com/526-olivier-voisin-mort/ |
A François et Anne.
Merci à l'un et l'autre pour vos roboratives interventions.
Sentez-vous comme moi, autour de nos échanges, ce silence prudent ou perplexe des journalistes francophones, groupe auquel nous appartenons, tous "linkedinés" à l'anglaise que nous sommes? L'observation des faits doit-elle aller de pair avec un silence complice?
Nos petits combats quotidiens contre l'approximation, la bêtise, l'ineptie véhiculées par ces abus de langage répétitifs, que nous dessoudons ici avec une délectation de tontons flingueurs, pourraient certes sembler bien dérisoires, voire mesquins, passéistes et inutiles. Et pourtant...
Au moment même où je commençais à rédiger cette réponse, une brève du Nouvel Observateur est apparue sur mon écran, informant du décès à 38 ans à peine, en Syrie, suite à ses blessures de guerre, du reporter-photographe français Olivier Voisin.
Je ne puis m'empêcher dès lors, non seulement d'avoir une pensée émue pour cet homme qui est allé avec courage au bout de son combat professionnel - à l’Ecole de journalisme déjà, les grands correspondants de guerre avaient toute mon admiration et il en est résulté un mémoire sur "L'événement-guerre" -; mais aussi d'oser un rapprochement qui ne choquera pas, j'espère, eu égard à ces circonstances dramatiques.
C'est que, pour bien informer, il n'y a pas de grand ou de petit combat qui ne vaille.
Si on doit lutter contre la barbarie, on peut dans le même temps lutter contre le barbarisme... Si ce n'est que, dans le second cas, on n'encourt guère que le risque du ridicule. Assumons-le donc.
Personnellement, j'ai choisi, par souci d'efficacité stratégique, de concentrer mes tirs sur l'épouvantable "au final", expression-culte des "décérébrés de service" (grand merci pour celle-ci, par contre, François, je l'adopte). Mais il est évident que chacune et chacun de nous peut avoir ses propres objectifs, voire ses obsessions lexicales...
Anne, ne lâchez pas prise et continuez à collectionner les "sur" malpropres! En restant "sur" le coup, voilà qui vous fera un excellent premier chapitre pour votre dictionnaire de mauvaise langue - qui pourrait de plus être un excellent enjeu collectif.
François, je note avec plaisir que, sur le front de Normandie, vous partez en guerre contre d'agaçants anglicismes, presque inévitables en ces temps de globalisation forcenée. Vos exemples sont très parlants, notamment cet ultime "en capacité de", dont use et abuse effectivement le secteur socio-culturel. Je pense aussi à cette nuance, censément subtile, que les mêmes essaient de nous vendre, entre 'efficace' et l'anglophile 'efficient'.
Précisément, si vous voulez de l'efficacité (dans une chronique du Monde, par exemple?), faites attention de ne pas disperser votre feu. Un ennemi à la foi croyez-moi.
D'autant que, si vous faites bien de nous rappeler que l'on "se rappelle" transitivement quelque chose, et non pas "de" quelqu'un ou quelque chose, vos autres cibles s'avèrent plus floues. Ainsi, vérification faite dans le bon vieux dictionnaire Boiste (1828, quand même), "se baser sur" y est déjà mentionné, comme néologisme certes, mais voilà près de 200 ans déjà... Je crains que cette bataille-là soit perdue.
Quant à "l'opportunité", qui vous agace manifestement les oreilles, elle est également présente, comme "qualité de ce qui est opportun" et "occasion favorable", dès le début XIXe dans le Boiste. Et bien française du reste puisque, tout comme l'anglaise "opportunity", elle va chercher son origine dans une commune "opportunitas" favorable, commodité que connaissait déjà César ("opportunitates loci", les avantages de la position, Gaffiot 1936). Reste que beaucoup de vocables français passés par l'anglais nous en reviennent en "faux amis". Donc, oui, "in fine", restons sur nos gardes...
Moi aussi, j'ai été long, excusez-moi. Je cherche encore le moyen de dire en une seule ligne tout ceci, pour mieux convaincre. Mais "Au final, c'est nul" risquerait d'être mal interprété!