Parfois, dans le langage courant, il est des manques frappants et des évidences qui s’imposent. L’idée d’une “internation”, substantif singulièrement absent du champ lexical usuel comme du vocabulaire pourtant international de la politique, est l’un et l’autre.
Et peut-être même la plus nécessaire des absences à combler, dès lors qu’il s’agit de nommer ce qui diable peut bien, au lendemain d’un grand scrutin européen marqué par une forte abstention autant que par l’euro-scepticisme, intéresser encore sinon rassembler l’hétéroclite cohorte de plus de 500 millions de citoyens répartis en 28 États membres.
"Internation", un néologisme? Pas vraiment. Le terme est mentionné comme substantif féminin dans le Dictionnaire universel de la langue française, Boiste, Bruxelles, 1828. |
Cette Europe des 28, l’Union européenne, que ce soit en droit international, de iure, ou dans les faits, de facto, qu’est-ce que c’est au juste ? Voilà ce que me demandait il y a peu un ami, lequel se reconnaîtra ici, soucieux qu’il a toujours été de ce qui est loin d’être un détail technique ou une argutie...
Comment définir, expliciter, qualifier, nommer l’Union européenne?
Une fédération de nations indépendantes, sans être elle-même une nation historique?
Une confédération d’États fédéraux avec d’autres qui ne le sont pas? Une union internationale, oui mais alors, de quel genre possible: plutôt une union d’Etats dans une même nation, avec une même citoyenneté, à l’américaine? Ou plutôt une communauté disparate de nations mélangées, de pays fédérés et d’autres pas, à la russe, mais en plus démocratique?
Une confédération d’États fédéraux avec d’autres qui ne le sont pas? Une union internationale, oui mais alors, de quel genre possible: plutôt une union d’Etats dans une même nation, avec une même citoyenneté, à l’américaine? Ou plutôt une communauté disparate de nations mélangées, de pays fédérés et d’autres pas, à la russe, mais en plus démocratique?
Comment la désigner simplement, utilement et judicieusement, cette Europe qui se voudrait rassembleuse, à nulle autre pareille dans l’histoire des alliances entre nations et des recompositions territoriales qu’elles engendrent?
On ne se débarrassera pas aisément du concept d’État-nation, encore moins du souverainisme étatique qui fait en ce moment son grand et plombant come-back - encore que, s’agissant de la Grande-Bretagne centrifuge de Cameron, il vaudrait mieux parler de coming-out. Qui rappellera à ces Anglais tentés par le repli qu’un de leurs plus grands philosophes, Lord Bertrand Russell, s’il trouvait bien quelques qualités artistiques ou littéraires à l’expression nationaliste, ajoutait aussitôt : “Mais en politique, le nationalisme c’est le mal à l’état pur. Il n’y a pas un seul argument qui puisse le défendre" 1 ?
On n’a jamais vu autant d’Etats, républicains ou non, héritiers sinon nostalgiques d’anciens royaumes, se réclamer de la souveraineté nationale et se régaler de pouvoirs régaliens (inhérents à la royauté, faut-il entendre dans ce terme paradoxalement ressorti des tiroirs de l’Histoire).
Et cependant, pour se prémunir des nationalismes dont on sait trop à quelles dangereuses et belliqueuses extrémités ils mènent, il conviendrait que grands et petits maîtres de la maison Europe s’accordent enfin. Que sans tarder ils décident d’une authentique quoique partielle délégation de vraie souveraineté à une Union des Etats d’Europe qui n’en soit pas simplement la somme, mais plutôt le commun dénominateur, en droit et dans les faits.
“Il faut réinventer une souveraineté au niveau européen pour mieux défendre le niveau national”, plaidait fort justement le candidat Verhofstadt dans Libération (14/05/2014).
“C’est en nous appuyant sur cette ‘valeur ajoutée européenne’ et en mutualisant davantage nos forces au sein de politiques communes que nous pourrons renforcer notre influence”, ajoutaient un peu plus tard Delors, Lamy, Guigou et consorts dans leur Manifeste pour engager l’Europe dans le monde.
Pour porter ces nouveaux projets d’une Europe politique, sociale, économique et environnementale commune, qui n’aille pas à l’encontre des diversités culturelles nationales mais s’en renforce. Pour assumer pleinement cette souveraineté partagée, au sein d’institutions représentatives communes, concentrant l’expression des choix démocratiques européens, les instruments de pouvoir et l’exercice de l’autorité supra-nationale. Pour tout cela, de même qu’il faut plus qu’un nom, un statut, pour incarner une présidence européenne légitime et agissante, il nous faut à présent donner à cette Europe en devenir une légitimité statutaire, qui la fasse exister en tant que super-Etat, sans concurrence cependant, primus inter pares, à travers ces Etats-Nations qui la composent.
Il s’agit donc que soit proposée, imposée et reconnue en droit international, au nom de l’Europe et de ses institutions communes, la notion, encore absente, d’internation.
Il s’agit in fine que l’Europe contemporaine devienne, au plus vite, ce qu’elle est en puissance sinon déjà en réalité: une Internation, première du genre dans une civilisation démocratique. Et la première au monde.
Il s’agit in fine que l’Europe contemporaine devienne, au plus vite, ce qu’elle est en puissance sinon déjà en réalité: une Internation, première du genre dans une civilisation démocratique. Et la première au monde.
(JD090614)
1 Bertrand Russell, Ma conception du monde, Paris, Gallimard, coll. Idées NRF, 1962, p.114.
>>>> Nota Bene (JD171214) : DE LA SOUVERAINETE PARTAGEE OU PLURIELLE
"D'où la question: comment assumer le déclin des absolus tout en pensant une autorité légitime, comment par exemple penser à un Etat stratège, en Europe, alors que nous vivons sous hégémonie culturelle américaine? Il faut réinventer un Etat stratège sous le régime des souverainetés plurielles".
Voilà qui, semble-t-il, conforte si besoin était le constat qui précède: le temps est venu de fonder cette Internation souveraine et plurielle.