De l’importance nouvelle du “mouvement” non partisan en démocratie participative : échanges dialectiques

“(...)La démocratie participative c'est plus de démocratie. Ce n'est pas plus facile. Au contraire, c'est plus difficile. D'électeurs, nous devenons citoyens, c'est-à-dire participants. Et pas simplement en participant, mais en participant de telles manières que l'intelligence collective puisse émerger. Cela nécessite que la convivialité soit instaurée et maintenue dans les Cercles Citoyens. Cela demande de chacun, au bénéfice de tous, écoute, respect, connaissance de soi et remises en question. Cela demande d’acquérir ensemble, avec l’aide des autres, plus de maturité().” 
André Couchard 

Cher André, 

Bravo pour l'argumentation développée, honnête, claire autant que judicieuse, selon moi, en ce qui concerne les caractéristiques et conditions de la vraie démocratie participative
Et merci de m'en avoir fait bénéficier également, dans ce souci de convivialité, de partage et d'intelligence collective qui devrait caractériser toute démarche citoyenne comme la tienne. 

Puis-je en profiter pour revenir à mon tour, (...), sur (...) ce que peut être, dès sa genèse, un mouvement politique nouveau, créé dans un contexte de refonte radicale du processus démocratique, lié à de grandes incertitudes sociétales.

Car - et je répète ici en les toilettant les termes de messages antérieurs -, c'est un champ bien plus large encore, parce que réel autant que virtuel, dont je tente d'esquisser le modèle systémique global la modernité en mouvement incessant.
Ce que résume parfaitement cette loi universelle formulée par l'anthropologue Georges Balandier dans Le Désordre: "la modernité, c'est le mouvement plus l'incertitude".

Ou, pour reprendre une idée similaire récemment exprimée, avec plus d'impact médiatique bien sûr, par un Daniel Cohn-Bendit dans son opuscule Pour supprimer les partis politiques (Indigène Editions, février 2013) : "Seul un mouvement, pas un parti politique, est capable de mettre en branle la société tout entière, d'y implanter ses idées et ses pratiques", alors que, "Un parti, c'est un blindage, une structure fermée, presque génétiquement hermétique à la société". Un parti, ce n'est pas, ce n'est plus le partage généreux des valeurs, des idées et des responsabilités, c'est la (ré)partition segmentée et organisée des pouvoirs entre socles dogmatiques d'un autre temps - que ce soit le socialisme, l'(ultra)libéralisme ou, a fortiori, les fondamentalismes de toute nature -, des fortins défensifs totalement (totalitairement?) inadaptés à la mouvance idéologique qui nous entoure et les submerge...

En ce sens, les divers flux, événementiels, médiatiques, informatifs, économiques, culturels et autres qui circulent à la vitesse de la lumière sur Internet, faisant scintiller le monde de mille feux follets, ne sont qu'un aspect de la réalité complexe, mouvementée et souvent accélérée qu'il nous faut comprendre, décrire et surtout assimiler, par notre adaptativité cognitive et comportementale. 
En abandonnant autant que faire se peut les modèles surannés que nous ont imposés le structuralisme, le constructivisme et tous les systèmes rigides qui ont précédé, mais ne sont cependant que des courants de pensée. Souvent obsolètes, faut-il encore le préciser.  

De même, tout devrait être désormais conçu, créé et agi non pas dans la vitesse ou l'urgence, mais avec une grande conscience du mouvement incessant (je ne dis pas: progrès !) du monde et des idées, du caractère précaire voire éphémère des constructions même symboliques de l'homme. De la grande fragilité de toute création humaine face au temps qui passe et souvent s'accélère jusqu'à l'hyper-vitesse.

Dans une temporalité longue, toutes nos institutions, même nos Constitutions, sont des objets éphémères, voués à évoluer ou à disparaître, plus ou moins vite. Et nos lois et règlements avec...
Dans une temporalité courte, le temps d'une législature comme un quinquennat par exemple, oui, paradoxalement, les processus de décision nécessités par l'actualité, sinon l'urgence, peuvent devenir d'autant plus compliqués qu'ils se multiplient en temps réel. Techniquement facilités qu'ils sont, par la "fluidité" organique des boucles de décision (pouvoir/responsabilité) et d'information/communication qui remplaceront à l'avenir les lents et pesants "mécanismes" de décision institutionnels. 
Avec des connexions beaucoup plus courtes, nombreuses et rapides, fluides même, effectivement, en démocratie directe, entre les citoyens lambda et les représentants élus de cette lambdacratie dans les cyberparlements à venir. 
Mais cela, on peut l'observer dès maintenant et tous les jours, dans la vitesse croissante de propagation médiatique des événements politiques, qui obligent souvent les gouvernants à (mal) gouverner à vue, insuffisamment drillés qu'ils sont à ces situations de crise à répétition. Ce qui explique peut-être qu'ils soient si vite grillés et si vite remplacés aujourd'hui, usés par un exercice du pouvoir de plus en plus haletant et éreintant (…). 

Certes, pour en revenir à l'implémentation progressive de la démocratie participative dans nos systèmes parlementaires, il y a des risques de dysfonctionnement, notamment d'exclusion des citoyens déconnectés de ces processus technologiques (en  Belgique, la "fracture numérique"  léserait encore 27% de la population). 
Mais le risque de l'immobilisme ou de l'inadaptation réactive, aux mouvements d'ensemble comme aux courants divergents qui agitent le monde, est plus grand encore. 
Oser prendre le risque, c'est donc déjà limiter, sinon maîtriser le risque. 
Un risque qui est de toute façon inhérent au "global risk management" qu'impose le rythme de plus en plus mouvementé de la gouvernance publique, dans une navigation à vue... ou sans visibilité.

Voilà pourquoi on pressent dans nos sociétés, de plus en plus "indignées" par l'impéritie fonctionnelle de leurs gouvernants de plus en plus stressés, une grande attente de changement radical, un profond besoin de "tout" changer (pas seulement les personnalités au pouvoir, mais le mode d'attribution et de fonctionnement du pouvoir lui-même). 

Voilà pourquoi je plaide pour une réflexion prospective sur tout ce qui pourra fluidifier,"faciliter le mouvement" de changement dans la vie politique à toute échelle, locale comme européenne. 
A commencer par la suppression, par voie de droit constitutionnel, de la pratique très partisane et anti-démocratique des "consignes de vote" en assemblée parlementaire, où la prépondérance doit être rendue aux individus siégeant comme tels, en représentants élus et directs du peuple souverain plutôt que délégués de partis intermédiaires, eux-mêmes voués à se diluer dans le paysage socio-politique pour n'y être plus que des groupes de pression représentatifs, au mieux des instituts d'études politiques consacrés à l'évolution théorique de programmes directeurs, d'agrégats dogmatiques clairement identifiés sous les drapeaux censés jusqu'ici leur rallier des militants. 

Voilà pourquoi l'objectif prioritaire d'un mouvement citoyen ne peut pas, ne doit pas, jamais, être une quelconque échéance électorale, fût-ce pour les législatives belges ou européennes à venir et avec ses propres candidats - plaçant ainsi leurs ambitions et objectifs personnels de réussite avant l'intérêt général -, mais l'illustration et la dynamisation même de ce mouvement sociétal, publiquement et médiatiquement parlant, par des convictions et des choix marqués. 
A travers des valeurs consensuelles de la société civile du futur, comme la liberté de penser et d'aller, la dignité, la convivialité, l'impartialité de la justice et la neutralité de l'Etat, l'égalité des genres, des cultures et des droits (l'égalité citoyenne, ce que les pères de la démocratie appelaient l'isonomie, l'égalité devant la loi), la solidarité et la sobriété préventive dans l'usage du bien commun, le respect mutuel de l'homme et de son environnement, sans oublier surtout la responsabilité envers les générations à venir. 
Toutes valeurs consacrées, et bases de réflexion collective, auxquelles les uns, militants engagés ou simples citoyens sans drapeaux, seraient amenés à s'intéresser dans un mouvement-manifeste porteur, transversal. Toutes valeurs et bases par rapport auxquelles les autres, élus en place ou candidats à la vie publique, seraient invités à se déclarer à titre personnel, indépendamment de toute allégeance circonstancielle à une liste d'intérêts locaux, communautaires ou plus larges encore. Ce que l'on appelle encore, faute de mieux, des partis ou des cartels. Et que ne connaissait pas la démocratie des origines, où les responsabilités publiques, telles que l'exercice de la justice par les 6.000 "héliastes" ou jurés-citoyens athéniens, étaient non seulement collégiales mais exercées, dans une temporalité très fluctuante, par des collèges de citoyens tirés au sort. 

Sans en revenir aux premiers temps de la démocratie, n'oublions pas non plus que le modèle démocratique lui-même a été critiqué, par Platon notamment. Et qu'il reste indéfiniment perfectible. 
Surtout dans le contexte infiniment changeant de ce qui n'est plus un moment de crise, mais le long franchissement d'un seuil culturel et historique, une bifurcation, un vrai changement de civilisation... (JD 11032013)