Législatives: à quand un cyberparlement pour rajeunir la démocratie parlementaire?

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Liberté!©jackydegueldre2005


Et si les prochaines élections législatives, en France comme dans d'autres pays d'Europe concernés par le mouvement de fond des « Indignés » (« Los Indignados » en Espagne, pour n'en citer qu'un), étaient une opportunité exceptionnelle d'apporter des réponses autres que partisanes, pour ne pas dire particratiques, à tous ceux et celles qui réclament l'abandon d'un système représentatif obsolète, avec un retour à la dimension délibérative authentique et historique de la démocratie parlementaire?

La France s'est dotée pour les Législatives de 2012 d'un appareil légal permettant, pour la première fois, l'élection directe de députés par plus de 2,3 millions de Français expatriés un peu partout dans le monde. Ainsi par exemple les citoyens français vivant dans l'un des trois pays du Benelux voisin auront-ils désormais, ensemble, un représentant (et 1 seul) au sein de l'Assemblée Nationale.
Jusqu'alors les « Expats », comme on dit, étaient essentiellement représentés auprès des Institutions de la Nation par l'Assemblée des Français de l'étranger (AFE) qui a succédé en août 2004 au Conseil Supérieur des Français de l'Etranger (CSFE), organe consultatif du Ministère des Affaires Etrangères.
Du scrutin indirect (car il y avait déjà élection de quelques sénateurs désignés sur ce mode) on passe donc au suffrage direct, et du consultatif on passe enfin au délibératif : démocratiquement, voilà certes une belle avancée... Mais il n'a pas fallu longtemps pour que la particratie classique s'en mêle, alléchée par la perspective de recruter çà et là quelques précieux renforts pour tel ou tel futur groupe parlementaire. Puisqu'il semble aller de soi, dirait-on, que ces mandats nouveaux reviennent aux partis traditionnels.
L'un d'eux désignant sans vrai débat interne un candidat bien sous tout rapport socialiste – de fait, le PS s'est très tôt trouvé, à Bruxelles, le peu connu en France Philip Cordery, Secrétaire général du Parti socialiste européen, adoubé par le leader socialiste belge Elio Di Rupo en personne -; l'autre annonçant, sur un ton éminemment présidentiel ne souffrant pas le doute, que l'élu du Benelux serait, c'est dit, Philippe Douste-Blazy. Et allez donc que je décrète comment doit fonctionner, à l'avenir, cette démocratie censément directe!

On comprend mieux que soit en train de se fomenter, au coeur même de la communauté des expatriés de l'entente beneluxienne, un Rassemblement citoyen qui voudrait en passer d'abord, à ce sujet, par un débat public ouvert, pluraliste et non confisqué comme d'habitude par les partis. Un mouvement de citoyens de France pas tout à fait coupés de leurs attaches, qui ont d'abord en commun leur « expatritude » et le souci que celle-ci soit entendue et représentée comme telle à l'Assemblée, tous bords confondus.
Comme l'écrit l'un d'entre eux, revendiquant plus philosophiquement que politiquement ses racines démocratiques, « un mouvement citoyen plus fédérateur que les partis politiques, lesquels isolent souvent, quand le mouvement entraîne, avec comme bagage la confrontation des idées de chacun vers le savoir-vivre ensemble. Un Parlement éphémère en quelque sorte ».

L'occasion, en effet, semble belle et le contexte actuel porteur pour tenter d'innover, en France comme ailleurs, en matière de fonctionnement usuel de la représentation parlementaire en général. Quitte à en réformer, non pas les principes fondamentaux coulés dans les Constitutions nationales de nos démocraties mais, disons, les arrêtés d'application entérinés par un usage désuet et contestable. Tel celui de la discipline de vote généralement imposée par les partis.
Car au fond, c'est bien cette représentation parlementaire aux ordres qui est critiquée un peu partout, par les jeunes générations en particulier, à travers le déni de la chose politique, la défiance et le rejet de la « politique politicienne ». Ce courant protestataire international dirons-nous, expression populaire d'un ras-le-bol général sans doute, phénomène nouveau que le politologue Pierre Rosanvallon, suspicieux, qualifie volontiers de « contre-démocratie ». Tandis que son homologue espagnol Anton Losada, de l'université de Compostelle (cité dans Marianne n°736), préfère penser qu'il s'agit d'une démarche plus que démocratique, de l'exigence d'une « nouvelle forme de débat politique », moyennant avant tout selon lui « un retour à la dimension délibérative de la démocratie ».
« Remettez-vous en cause! », lance aux politiciens de son pays et d'autres, dans la presse belge, la jeune porte-parole d'un mouvement de soutien aux Indignados de Madrid. « Ils ne nous comprennent pas », ajoute-t-elle, « et, tout comme le clament les indignés espagnols, ils ne nous représentent pas ». Dégagez!, le peuple reprend ses droits sur la place publique...
De fait, la critique sociale à l'égard du monde politique, partis et syndicats compris, est partout la même, venant des jeunes générations confrontées à la précarité, mais pas seulement d'elles. En résumé: « il faut que les politiques arrêtent de croire qu'ils peuvent faire ce qu'ils veulent, de se comporter en oligarques; le système ne fonctionne plus, cette société ne fonctionne pas, nous voulons débattre sur cette société dans laquelle on vit et vivront nos enfants ». Basta!
Débattre et délibérer sont donc les deux mots-clés objectivant, in fine, ce combat pour un monde plus juste et plus solidaire, plus propre et plus durable aussi. Où l'on devrait, surtout, communiquer mieux.
Fort bien, mais comment opérer en pratique? Et où le vrai Parlement qui permettra et garantira tous ces débats délibératifs: dans l'hémicycle ou dans la rue? On serait tenté de répondre: les deux à la fois. En y ajoutant même un nouveau tiers-état des hommes libres: les réseaux sociaux, auxquels sont désormais connectés, intriqués, mêlés sans distinction de castes, les uns et les autres, le peuple et les puissants, les zélotes en colère et les élus en ligne de mire. Car la médiation démocratique ne peut plus, aujourd'hui, que passer par le Net. Comme la gouvernance ouverte (cf. l'anglo-saxon « OpenGov ») en montre déjà bien la voie, au niveau exécutif, avec le partage public de données « OpenData », enfin rendues accessibles au « simple citoyen » pourvu qu'il ait accès, seul ou associé à d'autres, au monde numérique.
Toute la technologie nécessaire ou presque, tant en connectique qu'en sécurisation des données et des échanges, est dès à présent disponible pour faciliter à moyen terme une réforme en profondeur du système représentatif parlementaire. Pour permettre la mise en place d'un trinôme fonctionnel associant de façon novatrice, permanente et interactive, l'institution parlementaire définie par la Constitution et les voix (dé)concertantes de l'opinion publique, par le truchement de ce « Parlement éphémère » dont rêve notre citoyen expatrié, en mal de représentativité usuelle de ses idées et de ses intérêts auprès de l'assemblée législative de forme classique.

Comment, un cyberparlement peut-être?
Entendons-le bien. Il ne s'agit pas, ou pas seulement, de jeter les bases de cette « cyberdémocratie » globale modélisée par Pierre Levy, projet dont un chercheur académique n'hésite d'ailleurs pas à conclure qu'il « ne se résume in fine qu'à une déclinaison de la théorie économique libérale constituée en idéologie politique » (Weygand, Félix, « La fin du politique : une critique de la cyberdémocratie», Commposite, 2004).
Il ne s'agit certainement pas de retirer, au profit d'un
cyberparlement de science-fiction, son rôle délibératif et le pouvoir législatif effectif à l'assemblée parlementaire réunie physiquement en son siège institutionnel. Et composée à l'origine, rappelons-le, « de représentants temporaires, librement élus par le peuple », à titre personnel même puisqu'il est loisible de siéger comme indépendant, sans obligation d'appartenance à un quelconque parti. Le parti, notion fondée plus par l'usage que par le droit, puisqu'en France notamment, c'est en 1958 seulement que les partis ont été institutionnalisés dans leurs droits et devoirs par la Constitution.
Au contraire, il s'agirait que chaque représentant(e) du peuple, dûment élu(e) dans ce premier cercle représentatif délibératif, puisse asseoir davantage sa légitimité démocratique par une relation publique directe, interactive et constante avec celles et ceux qui l'ont mandaté(e), au sein d'une réalité parlementaire virtuellement « augmentée » ainsi d'un deuxième cercle permanent, consultatif et représentatif des forces vives de la Nation à travers les réseaux sociaux :
des instances issues de la société civile, du monde associatif, des collectivités territoriales et extra-territoriales (revoilà nos expats), des cercles populaires comme académiques, des organisations syndicales et fédérations professionnelles, voire des partis en dernier ressort... Un Parlement périphérique à distance, un péri-parlement, pour une méta-démocratie.

« Publicité, sauvegarde du peuple ». La publicité des débats, par l'assemblée télévisée en direct ou le blog parlementaire généralisé et institutionnalisé, ne suffirait-elle plus? Sans doute que non, puisqu'elle se fait à sens unique. En tout cas la technique référendaire avec modérateur, instituée en instrument quotidien de consultation démocratique, au service des élus, à travers le web social et ses « pools » thématiques – à ne pas confondre avec le sondage d'opinion, bien sûr – devrait mieux contribuer à faire remonter les questions primordiales sur les vrais enjeux de société et les aspirations populaires. Le but étant moins d'apaiser certaines tensions sociales que d'y répondre par les bonnes solutions inspirées, non par le très influençable bon sens populaire, mais par le raisonnement adaptatif d'une véritable intelligence collective.
Ouvrir, réformer et moderniser d'urgence le système parlementaire lourd et périmé de nos vieilles démocraties, c'est le seul moyen, paradoxalement, de revenir à l'essence même de l'esprit démocratique historique tout en préservant et exploitant localement les meilleurs acquis de la globalisation technologique.
Et si les élus directs issus de ce système parlementaire multi-couches étaient eux aussi, préférentiellement, des représentants autonomes « en nom propre » des divers mouvements civiques précités, plutôt que des membres encartés de l'un ou l'autre parti appointés à la carrière politicienne, ce ne serait pas plus mal... (JD)