Simple citoyen, single citizen: la lambdacratie ou la compétence civique du Citoyen Lambda

« Simple citoyen, single citizen, citoyen lambda, democracy online»... Quel est, à l'heure des #réseaux_sociaux qui font souffler plus fort que jamais le vent de la démocratie directe, le vrai pouvoir d'intervention sociétale du citoyen de base, familièrement nommé Lambda dans nos 'démocraties avancées' ? Quelle est, hormis la compétence spectatorielle indéniable de tout individu observateur de son temps et de l'environnement géopolitique immédiat, sa capacité réelle d'ingérence directe dans la chose publique ? Sa vraie marge de manoeuvre personnelle, de prise de pouvoir sur sa réalité contextuelle, de self-empowerment ? Quel est l'effet lambda de l'individu en colère, quelle est donc la longueur d'onde moyenne (λ) d'un bon coup de gueule...



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Je suis seul devant ma télé interactive à zapper entre Al Jazeera, BBC World, CNN et France 24. Seul devant l'écran de mon MacBook ou de mon smartphone à scanner un déluge d'alertes info, de hashtags (#mots-clés) et de RT (retweets) sur TweetDeck. Je suis seul et je suis fâché. Probablement parce que je me sens seul et impuissant, mais surtout parce que tout ce que je vois et lis, pourtant très loin de moi, m'insupporte et me fâche.
Je vois des gouvernements d'incapables ou de parvenus, des femmes et des hommes politiques veules, arrogants et prétentieux - ou simplement bêtes -, des tyrans vissés à leurs trônes comme les tourelles à leurs chars, des diplomates-otages hypocrites ou hyper-précautionneux (normal: Janus Double-face était le dieu de la paix ET de la guerre), des présidentissimes d'une télé-réalité clinquante, tous accros au grand jeu de la réalité augmentée du pouvoir suprême. Je lis des tas de bêtises énoncées en ligne, des cargaisons de commentaires incultes truffés de fautes et d'approximations, des torrents d'insanités langagières proférées sans frein sur forum.
Mais je vois aussi heureusement, çà et là, des hommes et des femmes courageux qui se lèvent, s'indignent et parlent vrai, des esprits indépendants et lucides, des combattants héroïques, des engagés sincères, des activistes quotidiens (des hacktivistes parfois) qui globalisent pertinemment leurs débats et leurs combats.
Bref, une lueur d'espoir et d'intelligence collective qui me dit que, fondamentalement, quelque chose est en train de changer irréversiblement dans l'histoire accélérée du monde en technoscape. Mais moi, le citoyen Lambda (enfin, pas si lambda que ça...), je m'interroge quand même. Agir oui, mais comment?

Sans prétendre passer en revue toute la gamme des postures citoyennes possibles, j'en distinguerai malgré tout quelques-unes qui me sont apparues ou réapparues ces jours-ci.

Honneur aux pionniers et à la belle génération soixante-huitarde des révoltés bravaches et de leurs héros immolés, il y a d'abord, il y aura toujours, la figure emblématique de l'individualiste révolutionnaire, rebelle esseulé et fier de l'être, tel que l'évoque et le convoque devant l'Histoire cette citation d'époque.
« Il serait temps, je crois, que l’individu se réveille, et qu’il reprenne non seulement confiance dans sa liberté par rapport aux mots, mais qu’il défie par sa propre pensée le pouvoir, culturel et social, des mystificateurs de l’autorité culturelle. Chaque individu est détenteur d’une chance historique qu’on veut lui confisquer, en lui retirant d’abord le droit d’avoir raison à lui seul contre tout ce qui se dit, tout ce qui se fait, tout ce qui se pense au-dessus de lui. C’est de cette chance individuelle, de cette brusquerie du désir, de cette pensée non garantie par l’État dont les véritables individus sont porteurs, que, parlant d’individualisme-révolutionnaire, j’ai voulu partir depuis 1965 ». (Alain Jouffroy, De l’individualisme révolutionnaire, Paris, 1974).
Ce qu'écrivait alors, quant à la culture en particulier, le poète surréaliste et critique d'art Alain Jouffroy, co-fondateur d'Opus International et futur directeur de la revue XXème siècle, nous parle toujours et paraît parfaitement applicable, aujourd'hui, à une attitude politique autonomiste, fondée sur la distanciation critique d'avec le système politicien. A peu de choses près, c'est bien ce que revendique mon ami Charles P., producteur engagé, rêvant de mettre en mots et en images l'histoire de la démocratie, farouchement baigné comme moi dans les idéaux libertaires d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas etc., mais qui n'est pas si loin.
Cette position, l'autonomie farouche, éminemment politique au sens premier du terme et parfaitement défendable face au délabrement des appareils de partis, veut qu'il y ait place désormais pour une mobilisation citoyenne trans-genres politiques et trans-générationnelle, par-delà les agendas partisans, hors les cadres périmés de la particratie classique. Laquelle est définitivement un avatar désuet, une représentation figée et obsolète, voire dangereuse pour l'avenir, de l'idéal démocratique.
On l'a bien vu dans l'éternel système bipolaire gauche-droite de nos démocraties occidentales socialo-libérales, comme dans le monde quasiment révolu des démocraties dites 'populaires' (redondance maladroite, c'est le cas de le dire), ébranlé entre ses murs-rideaux par la massive poussée des individus en révolte. On le voit bien encore dans la difficulté à bâtir, envers et contre les nationalismes, une vraie Europe sociale et politique d'Européens démocrates; ou, à l'échelle plus modeste de la petite Belgique, dans la levée courroucée des boucliers individuels face à l'insurmontable complexité de l'impasse constitutionnelle engendrée par le #NoGov belge (un triste record mondial: plus de 300 jours sans gouvernement, tandis que les partis négocient à n'en plus finir).
Le problème, ici comme ailleurs, est qu'un nouveau mode opératoire reste à inventer pour renouveler a minima le dispositif gouvernemental fonctionnel et contrecarrer la main-mise usuelle des partis sur la chose publique. Faudrait-il en arriver, en poussant un peu le modèle européen en place, à un simple exécutif de technocrates non encartés et non élus, mais cependant choisis et contrôlés par un système parlementaire renforcé qui n'émane plus des partis traditionnels? Un pouvoir législatif qui serait, comme ce devrait être théoriquement le cas, composé de représentants directement, individuellement et personnellement élus par le peuple, bien qu'émanant de toutes les composantes collectives de la société (autres corps constitués, syndicats et fédérations professionnelles, monde associatif, réseaux d'enseignement, organes culturels ou religieux, etc.)? Avec un pouvoir consultatif de la société civile qui serait exercé par tous les moyens technologiques aujourd'hui disponibles pour interroger directement le citoyen Lambda sur tous les sujets intéressant directement sa vie sociale...
Un concept nouveau, un modèle expérimental me semble se rapprocher de cette hypothèse-là: l'Open Government, ou l'#OpenGov tel que le prônent, via Twitter1, Facebook2 et autres réseaux sociaux, le stratégiste analyste bostonien John F Moore3 et son blog « Government In The lab »4. Faisant ainsi appel à toute la panoplie des technologies disponibles pour arriver à son objectif d'individu citoyen: réduire la confusion, le manque de transparence et la méfiance par le partage d'informations avec ses concitoyens, établir des partenariats entre ceux-ci et le gouvernement à tous les niveaux, par des circuits aussi courts et directs que possible, avec des solutions de sens commun.
Le Gouvernement ouvert, comme l’a défini John Moore, est (traduction fidèle, sous le titre « L’empowerment comme mode de vie (et Gouvernement ouvert) », de Lyne Robichaud, 'contributor' , tout comme moi désormais, du site multilingue Government In The Lab): «une philosophie axée sur le citoyen et une stratégie selon laquelle les meilleurs résultats sont généralement le fruit de partenariats entre les citoyens et le gouvernement, et ce à tous les niveaux. Cette philosophie est entièrement orientée vers la réalisation des objectifs grâce à une efficacité accrue, une meilleure gestion, la transparence de l’information et l’engagement des citoyens, et mettant le plus souvent à profit les technologies nouvelles pour atteindre les résultats souhaités. Ceci développe des approches commerciales, et fournit des technologies d’affaires au gouvernement».
L'exégète de ce « Result-driven Government » ajoute même qu'il faut « d’abord considérer les citoyens avec respect et leur donner en quelque sorte de la corde afin qu’ils puissent agir, c’est-à-dire leur donner de l’empowerment ». Et c'est le seul point avec lequel je ne suis pas totalement en accord. Oui pour le respect dû aux citoyens de base, certes, mais non pour leur « donner de la corde ». Le pouvoir sur sa propre existence, l''empowerment ne se donne pas, à mon sens il se conquiert (cf le Printemps arabe)...

Le poète et romancier lybien Kamal Ben Hameda est bien placé pour en parler. Du reste, il ne dit pas autre chose quand, dans le quotidien Libération (supplément Le Mag des 2 et 3 avril 2011, p. XVII), il en appelle, dans sa chronique intitulée « Stridences »5, à une singulière reconquête de l'expression démocratique individuelle, si ces mots peuvent encore avoir un sens. Un plaidoyer vibrant pour une idiocratie libre et indépendante, où il n'y a plus ni citoyens, ni périèques, ni métèques ni ilotes. Bref, une société sans castes, sans exclusives, et où l'individu populaire, le « simple particulier » (idiôtès au sens étymologique premier) n'est cependant pas considéré comme un incapable et, ce que l'on entend hélas ici, un idiot. Comment ne pas citer in extenso ce magnifique coup de gueule? Dont acte.

Vive l’idiocratie !
Un journaliste d’une radio locale m’interviewe : «Monsieur Ben Hameda, comme démocrate libyen…» Excédé par le trop-plein de ce mot consacré, j’explose : «Je ne suis pas démocrate ! La démocratie, depuis Athènes avec ses métèques et ses esclaves, et jusqu’à ce jour n’a cessé de sécréter l’exclusion !» «L’exclusion est inhérente à la démocratie dites-vous ?» «Oui. Je suis pour une alliance de gens libres, indépendants, maîtres de leur parole et non pour une gouvernance de moutons, de perroquets et de chiens souffre-douleur !» «Et comment nommeriez-vous ce système ?» Par quel néologisme ? Je me précipite aux sources et feuillette, fébrile, quelque dictionnaire de grec ancien jusqu’à ce qu’eurêka, je rencontre l’idiôtès, le simple citoyen pour fonder avec lui l’idiocratie, regrettant seulement que de mystérieux détours de langage aient fait de lui un être dénué de connaissances et même d’intelligence.(Kamal Ben Hameda, Libération, avril 2011).


Voilà qui est bien dit. Pour ne pas laisser le simple citoyen Ben Hameda seul avec ses regrets linguistiques, il nous reste donc à mieux nommer cette « -cratie » de la communauté des individus, qui n'est ni auto- ni mono- ni pleisto-, ce (contre-?)pouvoir collectif, anonyme et direct que l'on devine en germe à présent dans les réseaux activistes, dans les cyber-initiatives Anonymes comme dans les opérations à grande échelle d'une organisation citoyenne internationale telle qu'Avaaz.org (The World in Action, Le Monde en Action, plus de 8.100.000 membres « worldwide » au compteur).
Certains parlent d'
intelligence collective, d'éveil global des potentiels individuels locaux, de constellations humaines (dont l'astronome désigné fut, paraît-il, le grand ethnologue Claude Lévi-Strauss), de micro-sociétés (Deleuze) marginales, voire de sociétés en rhizomes.
Et si le concept du futur, celui de la société où toute simple citoyenne, tout citoyen isolément, a un droit égal d'expression et de prétention au partage du pouvoir décisionnel, à l'exercice singulier, permanent et autonome de sa compétence civique dans le respect des autres, était une idée aussi simple et naturelle, dans la même langue ancienne qui a forgé la démocratie dont elle est née, que la lambdacratie?
C'est bien ça: la lambdacratie. Le pouvoir, enfin, au citoyen lambda. (Je n'ai pas dit
lambada...).
[JD]


1Compte Twitter: @GovinTheLab
2http://www.facebook.com/GovInTheLab
3Compte Twitter: @JohnFMoore
4http://govinthelab.com/
5 http://www.liberation.fr/chroniques/01012329327-stridences




ADDENDUM: NOTE D'HUMEUR DE CHARLES P., SIMPLE CITOYEN... 


Salut Jacky , 

J'aime l'idiocratie et la Lambada ! 
Et au sujet de la démocratie, tu l'auras compris, mon projet est de conter son histoire, certes, 
mais surtout pour dénoncer la supercherie . 
On en reparlera et merci beaucoup pour tes traits de plume, l'indien !

Ci-après une note d'humeur en ce dimanche ensoleillé :

Du mouvement , en politique.
Le mouvement exprime un déplacement, une convergence vers un but précis comme, par exemple, la nécessité d'un changement ou d'un progrès . Cette dynamique véhicule les souhaits de chacun des acteurs de ce mouvement : des citoyens conscients de l'évolution de la société qui refusent d'être passifs. Bien sûr ce mouvement abrite obligatoirement plusieurs options de manoeuvre - chacun à son idée . Des groupes se forment pour faire consensus autour de ces options et s'organisent en projets et actions pour y aboutir . Il faut donc s'attendre qu'il y ait des divergences entre ces groupes et les accepter, sinon, ce n'est plus un mouvement , c'est un parti politique. 
A cet égard, les partis se nourrissent des attentes et convictions des citoyens. Ces derniers, en y adhérant, s'endoctrinent et perdent la maîtrise de leurs opinions, de leurs idéologies . Plus grave, ils en sont dépossédés par des "leaders" qui s'octroient des pouvoirs pour servir leurs ambitions personnelles. Surtout depuis que la politique ouvre à des carrières «à vie» . Tout le fonctionnement des partis politiques aujourd'hui consiste à ne traiter les individus que comme des militants encartés pris dans un jeu pour la conquête du pouvoir.
je vous ai compris, je sais ce que vous attendez, faîtes-moi confiance, je m'en occupe ". Ce serait plutôt: je m'occupe !
Pour y pallier , il faut que le citoyen participe plus et librement à la gestion du bien commun . Le mouvement est une solution, par le biais d'association ou par le biais de groupe de réflexions. On n'y est pas régenté, mais plus impliqué que dans les partis où le citoyen-militant n'est autorisé qu'à faire "la claque" durant les meetings, arborant fanions, foulards et autres gadgets et de coller les affiches électorales. 
Et puis, le parti politique divise et isole, quand le mouvement entraîne avec comme bagages la confrontation des idées de chacun. Là, sans doute, se situe la nouvelle manière de faire de la politique ou, mieux, une nouvelle manière d'en accepter l'utilité pour le savoir-vivre ensemble.
Certes, à un moment donné, il faut rassembler et concrétiser les souhaits de tous pour atteindre le changement. 
L'Assemblée nationale en est le réceptacle. ( à suivre , là aussi pour un changement )
Charles P. Single citizen.