Quand je serai grand, je serai Community Manager à la RTBF! (JD060311)


Si j'avais 29 ans aujourd'hui, comme la moyenne des community managers (en France du moins), je postulerais sans doute pour le siège vacant de CM – simplifions – à la radio-télévision parastatale de la Communauté française de Belgique (encore dite Wallonie-Bruxelles), bref à la RTBF.

Non, à la iRTBF, puisqu'il s'agit de gérer les communautés en ligne et les réseaux sociaux que s'est constitués notre « bouquet » de radios et de chaînes télé, via l'omniprésent Internet et ses incontournables champions, Facebook (grand public) et Twitter (plus pointu). Pour ne citer qu'eux, en relais et rivaux de la plus classique mais prolifique blogosphère. Sans oublier, en termes de gestion de projets, les applications qui y sont liées (voire, bientôt, les sites dits applicatifs style Applestore qui rassemblent et offrent celles-ci en paquets, widgets etc.).

« Gérez au quotidien les interactions avec les publics de la RTBF », suggère l'offre d'emploi au futur ambassadeur de la marque... Première question à se poser: mais de quels publics et de quelles communautés parle-t-on? Et comment leur parle-t-on? Par son intitulé officiel comme par sa charte d'entreprise, la RTBF a vocation culturelle de servir une seule communauté en priorité et en général, qui est celle des populations francophones de ce pays, qu'elles soient wallonnes, bruxelloises ou assimilées (n'oublions pas la communauté internationale représentée à Bruxelles ou Namur et s'exprimant dans l'une des langues diplomatiques originelles de l'Union européenne, le français).
En outre, cette mission comporte un important volet socio-culturel, souvent négligé ou sous-estimé, en matière d'éducation permanente, c.-à-d. l'obligation contractuelle de consacrer une part cependant non négligeable de la programmation à la formation culturelle et à l'engagement citoyen de ces publics, à commencer par les franges a priori les moins favorisées de la population.
Bref, il s'agit encore et toujours de combler, culturellement et technologiquement, ce fossé que le sociologue Marcel Gauchet a judicieusement nommé la fracture sociale.
Or, on imagine bien que, si Facebook notamment fait désormais partie de la « réalité augmentée » de bon nombre de nos concitoyens – pour une utilisation triviale qui est rarement de l'acculturation augmentée, tirée vers le haut -, il n'est pas encore donné à tout le monde de passer de la tablette iPad2 au nec plus ultra du smartphone, ou à la nouvelle génération des téléviseurs interactifs avec l'une et l'autre... Et encore moins, même pour les plus jeunes geeks, inconditionnels ou non de la (grande) tendance 'social gaming', de saisir la vraie utilité sociale et les codes d'interactivité complexes de Twitter, rapidement devenu, loin devant Google Reader ou Google News, le meilleur outil de suivi immédiat de l'actualité pour 97% des community managers (source: étude©Locita /F).


Comment développer les communautés et réseaux sociaux gravitant autour du pôle institutionnel radio-télé, dans ces conditions très pragmatiques d' hyper-fragmentation du marché public? Et surtout quand on sait que les objectifs implicitement assignés au community management sont, de même source et dans l'ordre, la maîtrise de l'image (73%), l'amélioration de la notoriété (71%) et de la visibilité (66%), avant même le développement d'une communauté (60% seulement).
Sans prétendre avoir réponse à tout – ce que sera réellement le monde 2.0 après la révolution numérique en cours, bien malin qui pourrait le dire -, esquissons quelques pistes stratégiques et pourquoi pas, en termes de combinaisons tactiques, directement opérationnelles.

1# A commencer par cette évidence : plus les publics sont segmentés, fragmentés, parcellisés, plus les réalités virtuelles et médiatisées auxquelles ils sont confrontés deviennent elles aussi complexes, parcellaires, protéiformes, insaisissables dans leur pluralité multi-médiatique malgré (ou à cause de) l'interconnectivité croissante des systèmes. Des agrégateurs de contenus qui résolvent en partie le problème en compilant les infos, il faudra donc rapidement passer, non seulement à des sélecteurs de contenus qui en feront le tri mécanique pour les usagers des réseaux en ligne et télédistribués, mais carrément à des analyseurs-synthétiseurs capables de faire du digging intelligent et critique – par exemple sur base des croisements de mots-clés répertoriés, les fameux #hashtags de Twitter – dans le flux ininterrompu des communications informatives. Et cela pour n'en retenir que la crème, l'écume des idées, des faits et des nouvelles. (D'où une fonction annexe de veille multimédia).
On voit bien là les limites de l'automatisation, même avec les meilleurs algorithmes de recherche. Donc la nécessité, et en même temps le danger, d'une intervention humaine continue (ou content system management), qui pourrait vite confiner à de la vulgaire censure si elle n'était pas pondérée par ce que l'on désigne désormais comme du social curating. Autrement dit une sélection-scénarisation à l'amont des contenus rediffusés, pratiquée de manière ouverte et faite de choix responsables, pleinement assumés et revendiqués, à la manière subjective et didactique dont opère tout bon curateur d'un événement culturel. Mais le terrain d'investigation désormais, c'est Internet.

2# Ce n'est plus la télévision qui trône en vedette au milieu du salon, ni même le téléviseur son vecteur usuel, avec sa kyrielle de chaînes numériques et de radios broadcastées, mais c'est carrément le télécran interactif qu'avait prédit Orwell, quand ce n'est pas le touchscreen pad individuel grand format... Conséquence: on ne parle même plus de narrowcasting mais d'egocasting, comme dirait le Canadien Pierre Fraser. Chacun est l'épicentre de son propre réseau de réseaux, sociaux, médiatiques, radiodiffusés, télévisuels. Chacun est non seulement capable de choisir et organiser sa propre programmation, mais aussi, potentiellement, de produire ou même diffuser ses propres contenus – scripto, audio et vidéo – et d'en engendrer de nouveaux usages (piloter la révolution en marche via Twitter, par exemple, ou faire de l'activisme anonyme en ligne).
En réponse, face à la pression concurrentielle des réseaux sociaux, il s'agit donc d'anticiper sur ces nouveaux outils et usages, au demeurant très intéressants et pleins de perspectives – notamment la géolocalisation des intervenants – pour en tirer de nouvelles scénographies d'émissions, à l'image du webdocumentaire au cheminement exploratoire non linéaire façon Arte. Pour inventer de nouveaux formats participatifs, à l'instar des meilleurs sites et blogs porteurs de l'information dite participative et citoyenne, fonctionnant en bottom-up sous la férule de professionnels modérateurs.
En somme, il s'agit, afin de refidéliser les audiences disséminées, d'intégrer la connexion avec les canaux multiples des réseaux sociaux bien plus en amont du stade de la diffusion des productions.
Tout en y maintenant et développant pédagogiquement (revoilà l'éducation permanente !) des standards de déontologie, de créativité et de qualité esthétique qui ne sont pas encore, loin s'en faut, l'apanage des produits artisanaux en circulation courante sur les réseaux sociaux - Dailymotion et Youtube, les webcams et les smartphones, c'est encore trop souvent Internet en qualité Super8...

3# Le web, puisque c'est de cela qu'il s'agit comme champ d'expansion naturelle des broadcasts conventionnels, est un paysage beaucoup plus vaste, plus instable et plus changeant encore – par son immédiateté et sa prolifération de messages - que ne l'est le paysage audiovisuel de l'ère post-hertzienne ou numérique, qu'il tend d'ailleurs à englober. Il faut le considérer comme un espace public ouvert, global, un vaste mediascape, au sens paysager (landscape) où l'entend le socio-anthropologue indo-américain Arjun Appadurai. Un monde « augmenté » d'hyperliens, traversé de communautés virtuelles culturellement hétérogènes, qui ne peuvent plus être considérées comme des communautés territorialement ni même socialement homogènes.
Pour ne pas se perdre dans ce monde-là, pour que les publics s'y repèrent, s'y reconnaissent et s'y fréquentent – s'y resocialisent en se connectant aux autres autour des mêmes valeurs, des mêmes contenus de qualité? - , il faudrait y reconstituer, à travers le maillage invisible des réseaux sociaux en ligne, des espaces plus confinés, semi-ouverts, d'accès privilégié pour des micro-communautés ciblées, très segmentées. Qu'elles le soient sur le mode thématique (ex.: les cercles citoyens très concernés par la question politique du #nogov fédéral belge, par les alternatives environnementales ou l'activisme associatif), sur un plan spatial local (le quartier, la commune) ou régional, sur des critères socio-économiques (les jeunes demandeurs d'emploi, les femmes célibataires, les retraités actifs)... ou sur plusieurs niveaux à la fois (par exemple, les jeunes femmes actives, soucieuses des initiatives pour l'environnement, dans une même ville ou un même bassin régional).
Il s'agit donc d'aider ces publics jusqu'ici dispersés par leur propre pratique impulsive et erratique d'Internet – avec une couche technologique de cross-media web/mobile pour simplifier le tout - à retrouver une homogénéité, à se localiser (tracking) et se focaliser (checking) sur des contenus médiatiques partagés, des engagements communs, en liaison avec des émissions spécifiques, où une interactivité plus que basique, une interconnectivité nouvelle leur est garantie par le biais communautaire des réseaux sociaux (N.B. Social gaming ou social acting, le clanning est une tendance de fond pour les Belges, dont 80% disent travailler d'abord pour les contacts sociaux – source: enquête intergénérationnelle 2010 Worried Belgians ?, mobilisation sociétale des Belges, © Time4Society).
En allant plus loin, on pourrait même imaginer qu'un réseau culturellement homogène de télévisions et radios publiques comme l'est la RTBF, réseau en principe omniprésent dans les lieux publics et privés sur le territoire communautaire, soit lui-même le support facilitateur à l'initiative d'un système client intégrant les différents outils de géolocalisation disponibles ou possibles (Foursquare et autres Facebook Places/Lieux, Google Place, Followers, Latitude, Gowalla, Plyce, Livekult etc.). Pour que les différents lieux virtuels de ces multiples cartographies superposées et non connectées forment à l'avenir le maillage d'un seul et même réseau public de lieux sociaux, unanimement identifié sur Internet et chez nous iRTBFinside.
On peut rêver, non? Voilà ce que j'écrirais dans une note confidentielle si j'étais un jeune et brillant futur Community Manager de 30 ans à la RTBF. Mais j'en ai le double et, comme mes chances statistiques de décrocher le rôle sont donc inversement proportionnelles, il me semble préférable de confier ces considérations stratégiques à Internet et à la blogosphère, via Twitter. Au moins ça pourra servir largement à la communauté. Ne serait-ce qu'à lui rappeler que ce n'est pas la génération actuelle des fine young nerds de Facebook qui a tout inventé... ^^ ( J D)