Récit: Ici il y a du vert, l’espoir existe...


Il s’appelle Ekoué, il est du Togo, là-bas il était journaliste. Un jour, à 40 ans passés, il a dû partir, du jour au lendemain, laisser là les siens. Et les caprices du destin, ou faudrait-il dire les accidents de la vie, ont mené ses pas en Europe et dans sa capitale, jusqu’à la grille d’un jardin potager associatif, quelque part dans une banlieue bruxelloise. L’association s’appelait Convivial. Sympa et accueillant. Il venait là pour faire un stage en communication, bénévolement.
Alors Ekoué a communiqué, à sa manière, avec ses mots...
Au-dessus de cette grille, à front de rue, il y avait un joli panneau fraîchement illustré de joyeux et souriants légumes, et qui disait le nom du lieu:
“Le Jardin des Déracinés”. Tout un programme. Derrière la grille verte pas bien solide, il y avait un ancien parking au sol d’asphalte. Et sur ce terrain naguère désaffecté, il y avait là tout un potager sur le bitume.
Incroyable ! Un vrai jardin d’Eden ! Quatre-vingt grands bacs fabriqués à partir de vieilles palettes en bois, remplis de bonne terre et, surtout, de magnifiques légumes en pleine croissance. C’était le début du printemps, il faisait encore un peu froid dehors, mais ce qu’il voyait a réchauffé le coeur d’Ekoué. Au moins autant que le bol de soupe “conviviale” que l’on faisait tous les jours avec les légumes du jardin, pour la servir à des dizaines de bénévoles...
L’ami Ekoué a vite appris que ce beau potager était le fruit de la solidarité de femmes et d’hommes venus d’horizons bien divers. Un patient travail collectif, géré en participation par des gens d’ici et d’ailleurs : de la coordination locale, des bras ukrainiens, népalais, africains, belges, français même... Sans oublier le merveilleux groupe des vieilles “mamies” rwandaises, dont le souhait de retrouver le travail de la terre et le bon goût des légumes frais était un peu à l’origine du projet.
Chaque semaine, dès qu’il faisait assez beau, elles venaient ici, en procession dans leurs grands manteaux d’hiver, se pourvoir en patates et autres légumes frais. Et s’asseoir sur les bancs du jardin pour apprendre le français en lisant les panneaux sur les grands bacs de bois: carottes, tomates, salades royales... Ou parler du pays en conversant dans leur langue, le kyniarwanda ou le kirundi.
Dans cette langue, justement, qui dit
“Harubuntu ! Ici il y a de la valeur !”. Dans ce jardin potager aussi, il y a de la valeur..., s’est dit Ekoué, qui ne parle pas que français, éwé ou mina, les langues de l’ouest. Alors il a pris deux ou trois petits panneaux à planter dans les bacs et il a écrit. Simplement. Qu’il se rendait “utile en travaillant dans cet espace”. Et, mieux encore, cette traduction libre d’harubuntu dans sa tête: “Ici, il y a le vert, l’espoir existe, il faut y croire”... 

"Le jardin des Déracinés", enseigne illustrée par ©JulieChloé 2005
C’est l’histoire du Jardin des Déracinés, un jardin solidaire, qui continue à voir grandir les êtres autant que pousser les légumes. Et faire pousser d’autres jardins potagers à son image. A Bruxelles, en Wallonie, en France et ailleurs. Demain peut-être au Maroc, à Sidi Bouhmedi, dont le maire Mostafa a bien aimé et compris ce récit. Un récit de vie qu’il aimerait tant faire partager aux autres, renforcé par l’appui d'une petite équipe de l'ONG Echos Communication. Et après-demain? Le Sénégal de son collègue Mamadou le maire de Ngor? Le Rwanda de Jacqueline? Le Burundi de Serge? Tous lauréats récents du Prix Harubuntu, qui a distingué les projets de vie qu'ils portaient pour leurs communautés en Afrique...
C’est l’histoire d’un espoir en l’intelligence collective du genre humain. Ici. Là-bas. Partout. Harubuntu!

(JD)
Plus d’info sur le Jardin des Déracinés et l’association Convivial? www.convivial.be
D'autres renseignements sur le Prix Harubuntu? www.harubuntu.net