Au menu du jour, « Soup Kultur » hivernale aux métaphores du jardin de Candide et aux rutabagarres de l’écriture…
C’est qu’il faisait très froid à Brrrlin, le week-end dernier, entre le Collapse macro-systémique du Britannique Chris Smith, programmé dans les documentaires à voir de la 60e Berlinale, avec un pitch glaçant (c’est la fin de notre civilisation, prophétise l’auteur US Michael Ruppert) , et un délirant Trabi Safari en colonne rétro-frigo à travers les vestiges muraux de la Guerre Froide, figés dans les glaces sans tain d’une mégalopole-miroir du temps.
Je n’ai donc rien trouvé de mieux pour nous réchauffer les neurones que d’en rapporter cette idée d’une soupe imaginaire à la culture, avec un grand K bien sûr. Un ravigotant bouillon de Kultur inspiré par une enseigne aux portes closes, non loin de là où passait le Mur, métaphore invisible de la (dé)construction…
MUR, NATURE, CULTURE
« S’il ne faut pas, comme l’écrit Freud ( …), se laisser égarer par une métaphore, s’il ne faut pas ‘’prendre l’échafaudage pour la construction’’, on ne peut cependant penser autrement que par métaphores. Celles-ci permettent une illustration sensible (Versinnlichung) de ce que l’on cherche à représenter. Elles rendent visualisable ce qui ne l’est pas. Elles permettent d’approcher ‘’l’invisibilité absolue de l’origine du visible’’. (…) La conceptualisation la plus abstraite reste attachée au visuel à travers la métaphore », écrit le psychiatre et psychanalyste Jean-Jacques Barreau, citant Jacques Derrida (1968) dans Freud et la métaphore ferroviaire, Paris, Editions In press, 2007. Voilà pourquoi peut-être, aujourd’hui encore, vingt ans après sa chute, le Mur de Berlin est partout et nulle part. Sinon infranchissable, inoubliable. Un mur.
De la métaphore, en voici une autre, et même deux, très jolies, cueillies une semaine plus tard dans le jardin du philosophe Michel Serres, historien des sciences à l’esprit encyclopédique, venu à Bruxelles documenter pour ses lecteurs un tout récent Le temps des crises. Et nous livrant au passage sa vision jubilatoire du paradoxe ambulant que forment nos cerveaux reptilien et limbique avec notre néocortex d’homo sapiens sapiens…« Le cerveau est une brouette sur laquelle il y a un ordinateur, un char à bœufs sur lequel il y a un iPhone ! » (Michel Serres à Bruxelles, Le temps des crises, conférence au Marni, cycle PhiloCity, 19/02/2010).
N.B. Michel Serres aurait aussi beaucoup à dire sur tout ce qui sépare aujourd’hui culture et nature. Un fossé aussi large que celui que l’Histoire a creusé entre la politique (de la ville) et la culture (du champ).
D’une métaphore à l’autre, voilà que m’en revient aussitôt une, non signée, du fond de ma mémoire en voie de brocolisation : « Nous savons sagement que nos cerveaux deviendront des coussins douillets, que notre anti-dogmatisme est aussi exclusiviste que le fonctionnaire, et que nous ne sommes pas libres et crions liberté. » (C’est de Tristan Tzara, in La première aventure céleste de M. Antipyrine). Quelle culture !, direz-vous. Mais non, il m’aura suffi de consulter Internet et son énorme moulin-légumes pour en retrouver l’auteur. Preuve qu’effectivement nos cerveaux mémoriels sont désormais confortablement posés sur un duveteux et trompeur polochon de références universelles. Poussant notre petite brouette dans le champ infini des connaissances, nous ne sommes plus cultivés mais nous crions Culture !
CULTURE, ECRITURE… LITTERATURE ?
Assez de métaphores, c’est le moment de passer le mix-soup dans la soupe aux choux. Faut-il écrire sur la culture ?, ai-je donc demandé à l’un ou l’autre de mes (auteurs) préférés. Et d’abord, faut-il de la culture dans l’écriture ? Pas sûr…
« Le grand péché de l’homme, c’est la culture. Avant de se mettre à écrire, il faut se mettre en état de grâce, oublier toute trace de l’éducation », proclamait Joseph Delteil.
« L’écriture, par les changements qu’elle peut introduire dans la communication des idées, l’expression des besoins et des désirs, ne peut s’organiser qu’à partir de la démesure, en fonction des initiatives souveraines de ceux qui la pratiquent. » Alain Jouffroy, De l’individualisme révolutionnaire, Paris, 1975.
Démesure, disait-il. Passion, absolu, grandeur d’âme ? « Faire de la littérature ne devrait jamais être une question de snobisme, d’amusement ou d’opportunité, mais d’irrésistible vocation. Ceux-là seuls doivent écrire, peindre, sculpter, composer de la musique, qui en éprouvent un impérieux besoin comme de boire ou de manger. Car ceux-là seuls sont les prédestinés qui sauront œuvrer avec la passion dévorante et exclusive, avec l’absolue sincérité, la foi, l’élan qui mènent tout droit aux grandes œuvres.
« Seuls aussi, ils trouveront dans leur travail la force, le courage, l’héroïsme qui sont nécessaires pour supporter les aléas d’une vie d’écrivain ou d’artiste libre, incapable d’abaisser sa production au niveau des admirations vulgaires. » Robert Ducarme, Gustave Camus, artiste-peintre, L’Horizon nouveau, nov.1938.
Celui-là est moins connu mais c’était mon grand-oncle, Robert. Et même s’il n’a guère eu le temps d’écrire, c’était un de Nos écrivains, a dit de lui son ami Jean Tousseul. Dans un livre éponyme, il commenta ainsi sa mort héroïque au combat, aux tout premiers jours de la guerre : « Il n’aimait pas la guerre, alors la guerre l’a tué ». D’une seule balle. A la tête. Dans le cerveau. Philosophe et professeur, donneur de leçons sans aucun doute, ce Candide-là est mort au champ d’honneur. Et moi je cultive son souvenir, littéralement… (JD220210)
P.S. On me croira ou non, mais le trou dans le lobe préfrontal du buste ci-contre, figurant Robert Ducarme avant sa mort, n'y est apparu que récemment, suite à un choc reçu lors d'un transport... Un transfert?
C’est qu’il faisait très froid à Brrrlin, le week-end dernier, entre le Collapse macro-systémique du Britannique Chris Smith, programmé dans les documentaires à voir de la 60e Berlinale, avec un pitch glaçant (c’est la fin de notre civilisation, prophétise l’auteur US Michael Ruppert) , et un délirant Trabi Safari en colonne rétro-frigo à travers les vestiges muraux de la Guerre Froide, figés dans les glaces sans tain d’une mégalopole-miroir du temps.
Je n’ai donc rien trouvé de mieux pour nous réchauffer les neurones que d’en rapporter cette idée d’une soupe imaginaire à la culture, avec un grand K bien sûr. Un ravigotant bouillon de Kultur inspiré par une enseigne aux portes closes, non loin de là où passait le Mur, métaphore invisible de la (dé)construction…
MUR, NATURE, CULTURE
« S’il ne faut pas, comme l’écrit Freud ( …), se laisser égarer par une métaphore, s’il ne faut pas ‘’prendre l’échafaudage pour la construction’’, on ne peut cependant penser autrement que par métaphores. Celles-ci permettent une illustration sensible (Versinnlichung) de ce que l’on cherche à représenter. Elles rendent visualisable ce qui ne l’est pas. Elles permettent d’approcher ‘’l’invisibilité absolue de l’origine du visible’’. (…) La conceptualisation la plus abstraite reste attachée au visuel à travers la métaphore », écrit le psychiatre et psychanalyste Jean-Jacques Barreau, citant Jacques Derrida (1968) dans Freud et la métaphore ferroviaire, Paris, Editions In press, 2007. Voilà pourquoi peut-être, aujourd’hui encore, vingt ans après sa chute, le Mur de Berlin est partout et nulle part. Sinon infranchissable, inoubliable. Un mur.
De la métaphore, en voici une autre, et même deux, très jolies, cueillies une semaine plus tard dans le jardin du philosophe Michel Serres, historien des sciences à l’esprit encyclopédique, venu à Bruxelles documenter pour ses lecteurs un tout récent Le temps des crises. Et nous livrant au passage sa vision jubilatoire du paradoxe ambulant que forment nos cerveaux reptilien et limbique avec notre néocortex d’homo sapiens sapiens…« Le cerveau est une brouette sur laquelle il y a un ordinateur, un char à bœufs sur lequel il y a un iPhone ! » (Michel Serres à Bruxelles, Le temps des crises, conférence au Marni, cycle PhiloCity, 19/02/2010).
N.B. Michel Serres aurait aussi beaucoup à dire sur tout ce qui sépare aujourd’hui culture et nature. Un fossé aussi large que celui que l’Histoire a creusé entre la politique (de la ville) et la culture (du champ).
D’une métaphore à l’autre, voilà que m’en revient aussitôt une, non signée, du fond de ma mémoire en voie de brocolisation : « Nous savons sagement que nos cerveaux deviendront des coussins douillets, que notre anti-dogmatisme est aussi exclusiviste que le fonctionnaire, et que nous ne sommes pas libres et crions liberté. » (C’est de Tristan Tzara, in La première aventure céleste de M. Antipyrine). Quelle culture !, direz-vous. Mais non, il m’aura suffi de consulter Internet et son énorme moulin-légumes pour en retrouver l’auteur. Preuve qu’effectivement nos cerveaux mémoriels sont désormais confortablement posés sur un duveteux et trompeur polochon de références universelles. Poussant notre petite brouette dans le champ infini des connaissances, nous ne sommes plus cultivés mais nous crions Culture !
CULTURE, ECRITURE… LITTERATURE ?
Assez de métaphores, c’est le moment de passer le mix-soup dans la soupe aux choux. Faut-il écrire sur la culture ?, ai-je donc demandé à l’un ou l’autre de mes (auteurs) préférés. Et d’abord, faut-il de la culture dans l’écriture ? Pas sûr…
« Le grand péché de l’homme, c’est la culture. Avant de se mettre à écrire, il faut se mettre en état de grâce, oublier toute trace de l’éducation », proclamait Joseph Delteil.
« L’écriture, par les changements qu’elle peut introduire dans la communication des idées, l’expression des besoins et des désirs, ne peut s’organiser qu’à partir de la démesure, en fonction des initiatives souveraines de ceux qui la pratiquent. » Alain Jouffroy, De l’individualisme révolutionnaire, Paris, 1975.
Démesure, disait-il. Passion, absolu, grandeur d’âme ? « Faire de la littérature ne devrait jamais être une question de snobisme, d’amusement ou d’opportunité, mais d’irrésistible vocation. Ceux-là seuls doivent écrire, peindre, sculpter, composer de la musique, qui en éprouvent un impérieux besoin comme de boire ou de manger. Car ceux-là seuls sont les prédestinés qui sauront œuvrer avec la passion dévorante et exclusive, avec l’absolue sincérité, la foi, l’élan qui mènent tout droit aux grandes œuvres.
« Seuls aussi, ils trouveront dans leur travail la force, le courage, l’héroïsme qui sont nécessaires pour supporter les aléas d’une vie d’écrivain ou d’artiste libre, incapable d’abaisser sa production au niveau des admirations vulgaires. » Robert Ducarme, Gustave Camus, artiste-peintre, L’Horizon nouveau, nov.1938.
Celui-là est moins connu mais c’était mon grand-oncle, Robert. Et même s’il n’a guère eu le temps d’écrire, c’était un de Nos écrivains, a dit de lui son ami Jean Tousseul. Dans un livre éponyme, il commenta ainsi sa mort héroïque au combat, aux tout premiers jours de la guerre : « Il n’aimait pas la guerre, alors la guerre l’a tué ». D’une seule balle. A la tête. Dans le cerveau. Philosophe et professeur, donneur de leçons sans aucun doute, ce Candide-là est mort au champ d’honneur. Et moi je cultive son souvenir, littéralement… (JD220210)
P.S. On me croira ou non, mais le trou dans le lobe préfrontal du buste ci-contre, figurant Robert Ducarme avant sa mort, n'y est apparu que récemment, suite à un choc reçu lors d'un transport... Un transfert?