AFFRONTER LA CRISE!

Crise = décision. Equation fausse? Pas du tout. Consultez vos dictionnaires. Le mot vient du grec ancien "krisis", décision, jugement. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que le mot semble avoir pris un sens politique, et économique plus tard encore.
Ainsi donc, nous confondons le momentum du problème et l’instant de sa solution. La situation, critique, et son issue événementielle. Nous en sommes paradoxalement arrivés à percevoir comme une malédiction finale, comme le paroxysme des difficultés économiques, politiques et idéologiques, ce qui devrait avant tout nous apparaître comme l’instant décisif pour la solution de nombreuses contradictions. Un nouveau point de départ, la chrysalide des événements à venir, des nouveaux équilibres à créer.

Krisis c’est, nous dit pourtant l’indispensable Bailly, dans son Abrégé du dictionnaire grec-français, Paris, Hachette, 1901,

- au sens premier : l’action ou faculté de distinguer ;
- au sens second : l’action de séparer, d’où dissentiment, contestation ; d’où lutte ; particul. contestation en justice, procès ;
- en troisième lieu : l’action de décider, d’où
> 1 décision, jugement ; particul. jugement d’une lutte, d’un concours ; d’où concours, décision judiciaire, jugement, condamnation
> 2 ce qui décide de qqe ch., issue, dénouement, résultat (d’une guerre).


La racine antique est Kri, choisir, trier, que l’on retrouve dans le grec kritès, le juge, qui juge bien sûr avec des critères. Mais on la trouve aussi dans le latin cribrum (comme dans passer au crible) ou cerno, cernĕre, 1 distinguer, discerner, 2 distinguer avec l’intelligence, voir par la pensée, comprendre, 3 trancher, décider (Gaffiot, Dictionnaire latin-français, Paris, Hachette, 1936).

Parution du XIXe s., le Dictionnaire des dictionnaires (Bruxelles, 1835) propose de la crise une définition qui, au sens médical, inspire encore plus d’un dictionnaire contemporain : « Effort de la nature, dans les maladies, qui produit un changement subit et marqué en bien ou en mal ». On parle d’une « Bonne,mauvaise crise. Crise favorable, salutaire. Cette crise l’a sauvé ». Au figuré, d’un « Moment périlleux ou décisif d’une affaire. Une crise se prépare. Les affaires sont dans un état de crise ».

En revenant ainsi aux racines du mot, on voit donc clairement combien il importe, « au plus fort de la crise », de garder toute sa lucidité face à l’incertitude et aux situations non maîtrisées. Combien il s’agit, pour tout individu, d’exercer avec discernement son intelligence adaptative, cette intelligence supérieure que les progrès des sciences neuro-cognitives permettent de situer avec précision au niveau du néocortex préfrontal (juste derrière le front).

C’est le préfrontal qui est le mieux armé pour gérer l’incertain, explique Jacques Fradin, chercheur expert en neurosciences* : « Le préfrontal est interconnecté de façon directe avec l’ensemble de l’encéphale, ce qui lui permet de disposer d’une simultanéité et d’une diversité d’informations en prise directe qu’aucun autre territoire cérébral ne possède ». Une puissance neuronale exceptionnelle, indispensable à la prévention comme à la gestion de crise, consistant en « une préparation mentale aux situations d’imprévu, de complexité, de risque, de danger voire d’échec ».

S’il se vérifie que nous sommes entrés, comme l’affirment nombre d’experts et, comme tout porte à le croire (Darfour, Tsunami, Haiti, ouragan Katrina, cyclone Oli, etc), dans « l’Ere des catastrophes », à l’ampleur inégalée et croissante, c’est même au niveau sociétal (le penser global) qu’il s’agit désormais de préfrontaliser!
...Mobiliser collectivement, face au flux événementiel cataclysmique, notre cerveau préfrontal.


Car, ajoute J. Fradin, « c’est lui qui sous-tend l’émergence de toutes les richesses de l’humanité : exploration et créativité, ouverture et sagesse, subtilité et factualité, relativité et modestie, science et raison, respect de soi et des autres, et courage de ses (vraies) opinions.(…) A nous de profiter de ces précieuses connaissances pour prévenir ces méga-crises que l’on nous annonce et les transformer en opportunités (comme d’autres ont su le faire par le passé) ».

Ainsi que le disait naguère en précurseur l’écologiste américain Ralph Nader, « faire de l’adversité une force créative »… Ce que d’aucuns comme l’éthologue Boris Cyrulnik appellent la résilience, autrement dit la capacité d'un écosystème ou d'une espèce comme la nôtre à récupérer un fonctionnement, voire un développement normal, après avoir subi un traumatisme ou encaissé un choc. Une force collective, une intelligence adaptative clairement perceptibles dans les « initiatives de transition » que déploient désormais, en matière de descente énergétique spécialement, de plus en plus de communautés locales de par le monde (cf. l’agir local dans les réseaux Transition Network et Villes en transition sur Internet).

Quoi qu’il advienne, ces collectivités-là ont décidé de décider elles-mêmes de leur sort, de mieux exercer leur sens critique d’assemblées citoyennes, de prendre en charge leur propre avenir. Bref, d’anticiper LA Crise, donc de la vivre avec sérénité.

(JD07022010)

* « Entretien avec Jacques Fradin, Du stress en situation d’incertitude et de crise : une lecture neuronale et comportementale », in Thierry Portal (dir.), Crises et facteur humain, Les nouvelles frontières mentales des crises, Bruxelles, Editions De Boeck Université, coll. Crisis Professionnels, 2009, pp.93 à 106.