"Aucun événement ne revient" (Bertrand Russell)


Premiers éléments d'un GLOSSAIRE DE L'EVENEMENTIEL (extraits, JD, UCL12/2009)

Nous oublions trop souvent que les mots ont une origine notionnelle, une source supra- linguitisque pourrait-on dire, qui leur donne un sens lexical initial en même temps qu’une charge historique, symbolique, culturelle, voire civilisationnelle, certes non négligeable. ‘Evènement’, avec l’accent grave qui sied peut-être à la lourdeur des circonstances, ‘événement’, préféreront dire certains parmi lesquels se range l’auteur par souci d’euphonie, est sans conteste l’un de ces vocables les plus chargés de sens universel. Donc vague.
A tel point que son dérivé moderne ‘évènementiel’ (variante : ‘événementiel’) qualifie désormais, non seulement « ce qui s’en tient à la description des évènements, des faits. Histoire évènementielle », ou « qui constitue un évènement, est lié à un évènement. Une manifestation évènementielle », voire « l’actualité au jour le jour » (Stora-Mével, Hachette 2004 : 582), mais aussi tout un pan formel de la communication, dite événementielle.
« Outil de communication hors-média, interne ou externe, utilisé par une entreprise ou une institution » selon Wikipédia, « technique de communication basée sur la création d’évènements voulus comme spectaculaires et sortant de l’ordinaire » pour Marketing.com, « type de marketing qui repose sur la création d’événement ayant pour vocation la captation d’un public choisi » selon Stratégies.fr : chacun peut constater aujourd’hui combien le dérivé lexical est d’abord une dérive du sens.
Une dérive restrictive, normative et récupératrice, entre marketing-mix et spectacle élaboré, bien loin du sens initial de l’Evénement avec un grand E. Lequel emporte, on va le voir, une nuance d’accident, d’aventure, d’imprévu et même d’imprévisible. D’irréversible aussi, au sens où l’entendrait probablement Ilya Prigogine, en thermodynamique, de l’effet phénoménologique des structures dissipatives (Prigogine, 2001)1. Le but de ce glossaire est d’amorcer l’exploration du champ sémantique ainsi béant.

1Cf. « 5. La problématique de l’auto-organisation, 5.1. Le principe d’ordre par fluctuation », parallèle systémique avec la communication, tiré des travaux d’Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, in Meunier, 2003 : 34 à 45.



Evénement (étymologie)
Tout comme l’anglais ‘event’ souvent employé de nos jours– substantif qui renvoie à ‘éventive’, adjectif français ancien, usité au féminin par J.J. Rousseau pour parler de (probabilité -) éventuelle (Boiste, 1828 : 646) – , le français ‘événement/évènement’ se rattache au latin eventus, m., ou eventum, n., homonymes tous deux issus du verbe latin evenire, è (ex)-venire, « 1° venir hors, sortir de ; 2° parvenir, aboutir ; 3° arriver, avoir lieu, survenir, se faire, échoir » (Quicherat, 1886 : 491), à quoi s’ajoute « avoir une issue, un résultat » (sens premier selon Gaffiot, 1936 : 227). A ne pas confondre avec advenire, arriver.

Eventus est effectivement « événement, résultat, issue, dénouement, conclusion » pour Quicherat, citant Cicéron (« eventus est alicujus exitus negotii, l’événement est l’issue d’une chose »). Boiste précise encore, quant à cette eventus, « issue, succès bon ou mauvais / d’une chose (- fâcheux ; heureux, inouï, historique) ; fait, /accident, /aventure, incident remarquables », tandis que Quicherat signale par ailleurs l’existence, tout aussi remarquable, de « l’Evénement (nom d’une divinité), Bonus Eventus, i, m. SALL. » (citant Salluste, in Quicherat, 1891 : 571). Une divinité donc, mais aucun bon vent ne vient préciser laquelle... Le neutre Eventum, rare au singulier, ordinairement Eventa, nous dit Gaffiot reprenant Quicherat, désigne « événements, choses accidentelles », mais aussi « résultats, effets », tandis que les eventura qui s’ensuivent désignent, au mode neutre toujours, « l’avenir ».

On serait tenté d’y entendre déjà le moderne ‘aventure’ (« Du lat. adventura, « ce qui adviendra », selon Stora-Mével, Hachette 2004 : 126), quoique « ce qui arrive par hasard » se dise plutôt, pour les auteurs anciens, fortuna, ae, f., casus, us, m.,- qui donnera l’anglais ‘casualty’, accident -, ou... eventa, orum au neutre pluriel (Quicherat, 1891 : 139). On le voit, la nuance est subtile mais importante entre ces différents termes. Nuance qui s’affine avec le temps puisque, à l’époque romantique, le Dictionnaire des dictionnaires (1835 : 1023) précise que, si l’événement (é-vénn-man) « se dit de tout ce qui arrive dans le monde », c’est aussi, avant même « l’issue, le succès bon ou mauvais de quelque chose », « Tout incident remarquable, dans un ouvrage dramatique, dans un roman, etc. Les événements de ce drame ne sont pas tous bien amenés ».

L’événement se construit donc. On peut délibérément « Faire événement, causer un sentiment de surprise, un trouble soudain qui contrarie ou qui satisfait ceux qui l’éprouvent » (id. : 1023). Ce que savait déjà Cicéron : « surprise, faire événement, maximam admirationem movere » (Quicherat, 1891 : 571). En résumé, selon le Dictionnaire des dictionnaires, « Evénement se dit, en général, de tout ce qui arrive ; accident, de ce qui arrive de fâcheux, à un ou à plusieurs ; aventure se dit de ce qui arrive de bien ou de mal aux personnes, inopinément ou par suite d’intrigue. » (ib. : 1023).