De la « communauté » en « communication », précisions étymologiques


(Commentaire apporté au « Cours de sémantique et d'étymologie: la communauté » proposé par Anne Delauney (webmarketing) sur le site « My Community Manager » et partagé sur LinkedIn dans le groupe Rédaction web, stratégie de contenu et référencement naturel du réseau social LinkedIn)

Communiquer c'est, chez César comme chez Cicéron, mettre ou avoir en commun (communicare, avec deux m déjà). Ainsi, ce que vous et moi avons au moins en commun, c'est le métier - la communication - et ce bon vieux dictionnaire Gaffiot (1936, rééd.1959), auquel le gréco-latiniste que je suis aussi a régulièrement et professionnellement recours. Par exemple pour éprouver sémantiquement des concepts ou leur forger des appellations étymologiquement fondées.
Mes félicitations, donc, pour avoir eu, en consultant Félix Gaffiot, cet excellent réflexe du retour aux sources ("reditus ad fontes", vous vous souvenez?).

Cependant, il me faut mettre un bémol à l'explication qui en résulte. Quand, peu satisfaite du "cum munus" initial de Wikipedia, vous lui préférez un "cum unus" devenu "com unus" puis "communus" par la grâce du dédoublement des consonnes. Phénomène phonétique et lexical que vous semblez un peu confusément attribuer au passage du latin au français, comme dans le cas cité du verbe "agglutiner" (de ad/glutinare, effectivement, mais que le latin de Plaute et Cicéron écrivait déjà couramment "agglutinare").

Le dédoublement des consonnes est un trait de la langue latine, certes.
Mais en l'occurrence (bon exemple de dédoublement du ob/c- en occ-), il est étranger au processus qui a forgé la "communitas" romaine. Qui n'est donc pas, j'en suis désolé pour votre bel espoir, "cum unitas" (une 'unité avec' sémantiquement redondante et illogique).

Ayant sur vous l'avantage de posséder aussi le Quicherat, Daveluy & Châtelain (circa 1886), dictionnaire savant dont s'est lui-même inspiré l'abrégé de Gaffiot, je vous confirme que "communis", commun, qui appartient à plusieurs, s'y décompose bien en "cum, munus".
De munus, muneris (génitif), dont vous avez vous-même donné divers sens, cités par QD&C: 1° charge, office, fonction, service public, devoir, soin, occupation, ouvrage, travail; 2° grâce, faveur, service, bienfait; 3° derniers devoirs; 4° don, présent; 5°spectacles (surtout de gladiateurs) donnés au peuple par un magistrat; 6° au pl. édifices publics construits par un particulier. (N.B. "Munire", d'où dérive aussi "munitio", c'est "fortifier un lieu", comme la cité, abriter, protéger, et finalement se munir).

"Il n’y a rien dans ce terme qui ait rapport avec la communauté !", dites-vous de "munus". Et pour cause, c'est comme toujours en latin le "cum" englobant qui fait de toutes ces acceptions dont est muni ce mot des valeurs partagées par la communauté, une charge commune. Comme l'est le "commune", substantif neutre pour dire "ce qui est en commun, le bien commun" (Gaffiot), ou même, territorialement, les "communia, pâturages communs" (Julius Frontinus, cité par QD&C).
Pour vous rejoindre dans l'intention supposée du mot, je dirais donc que la "communauté" est un rassemblement de personnes, physiques ou morales du reste, autour d'un bien commun, DU bien commun, fût-il moral ou matériel, spirituel ou séculier.
Et pour compléter le tableau à partir de ces ressources lexicalement plus complètes que sont les pages de QD&C, j'ajoute qu'un "communiceps" est chez Auguste un "citoyen du même municipe" (on voit bien ici le parallèle entre la commune et la 'muni'cipalité).
Qu'un "communicator" est déjà pour Arnobius l'Africain "celui qui fait part", ou "celui qui A part à".
Qu'est "communicatorius" ce "qui se communique"(nous pourrions donc parler d'un rire 'communicatoire'). Et en bas latin "communicativus", ce qui est "propre à communiquer". Tel le rire que nous pouvons partager en disant que si, tout cela, ce n'est pas bel et bien "communicare", mettre en commun, alors il y a de quoi y perdre son latin ! (JD)