Liberté j'écris ton nom : #Sidibouzid ! #Tahrir ! ...#NoGov?

Un homme libre ! ©jackydegueldre01022005
(...) Sur les pages lues
 Sur toutes les pages blanches 
Pierre sang papier ou cendre
 J'écris ton nom

 
Sur les images dorées Sur les armes des guerriers
 Sur la couronne des rois
 J'écris ton nom
(...) Sur les places qui débordent
(...) Sur les marches de la mort
(...) Sur le risque disparu Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom
(...) Et par le pouvoir d'un mot
 Je recommence ma vie
 Je suis né pour te connaître
       Pour te nommer Liberté
Liberté j'écris ton nom, Paul Eluard, 19421

En Mai '68 autour de La Sorbonne, comme hier autour de Midan Tahrir (Liberation Square, Le Caire), les murs avaient la parole. « La poésie est dans la rue! », « libérez l'expression ». lisait-on sur les murs de Paris. Ou encore, à Nanterre où tout avait commencé: «La liberté n'est pas un bien que nous possédions. Elle est un bien que l'on nous a empêchés d'acquérir à l'aide des lois, des règlements, des préjugés, ignorance, etc. »2 Vrai motif de révolte, belle cause...
Mais je n'étais pas à Paris, hélas. En mai 68, futur étudiant en journalisme d'à peine 17 ans terminant sa rhéto en province, je suivais fiévreusement les événements de cette révolution qui me semblait si fraîche et si joyeuse, vue de loin. Le soir à la radio,du fond de mon lit, l'oreille collée sur le transistor jaune, j'essayais d'imaginer le grand reporter Christian Brincourt, un pro, mon modèle, en train de crapahuter avec son micro entre les barricades de 2CV, de pavés et de plaques d'égouts du boulevard St-Michel. Quelle bagarre...
« Vous n'allez pas me lancer un pavé à la tête, j'espère ?», avait osé le prof de rhéto le lendemain matin, juste pour faire rire la classe. Et toute la terminale avait bien rigolé. Qu'est-ce qu'on peut être bêtes parfois! Moi, je m'en souviens, je n'avais pas apprécié.
Trois mois plus tard, l'école était finie mais ça rigolait moins. Dans la nuit du mardi 21 au mercredi 22 août 68, les blindés russes et les troupes du Pacte de Varsovie occupaient la Tchécoslovaquie pour réprimer le Printemps de Prague. A la télé, on voyait des jeunes de notre âge, des gamins en larmes, furieux et magnifiques, grimper sur les chars soviétiques pour tenter de leur faire rebrousser chemin. C'était terrible. Que faire? Rien.
Une semaine plus tard exactement, le 27 août, je franchissais en train le poste-frontière de Marienborn, entre la RFA et la RDA (DDR), pour aller voir de près à Berlin, en touriste avec les copains, à quoi ressemblait la contre-révolution en uniforme de l'Armée Rouge.
Vopos casqués et armés dans le train, ambiance de plomb, grillages et murailles grises, photos à la sauvette et regards piteux au-dessus des barbelés de Check Point Charlie, grosse impression de soulagement enfin en repassant la frontière le 31 août à Griebnitzsee avec, maladroitement glissé dans ma botte, un bouquin dénonçant images à l'appui les crimes de sang commis au pied du Mur...
Quelques semaines après j'étais à Lille pour mon examen d'entrée à l'Ecole Supérieure de Journalisme et je croisais en ville, surveillant les manifs un peu chaudes, mes premiers pelotons de CRS armés et casqués.
« CRS-SS !». Désagréable impression de déjà-vu et d'une omniprésence policière qui n'allait pas tarder à se confirmer au printemps 69, avec la fermeture temporaire après évacuation manu militari, par lesdits CRS, de notre école de journalisme, considérée – à juste titre sans doute - comme un foyer de rébellion.
A quoi je pourrais ajouter, les ayant personnellement vécus, d'étranges contrôles nocturnes, à deux reprises au moins, par des policiers en civil. Renseignements Généraux ou Surveillance du Territoire, difficile à savoir. Mais pas vraiment de quoi se plaindre, au regard de la terrible répression que subissaient dans le même temps, au-delà du Rideau de Fer, un peuple parmi d'autres et sa jeunesse étudiante.
Car le 19 janvier 69, voulant fustiger la démoralisation de son peuple plus encore qu'une censure étatique au demeurant insupportable à ses yeux, le jeune étudiant tchèque Jan Palach, 20 ans, s'immolait sur la place Venceslas (Václavské Náměstí) à Prague. Un geste d'un grand altruisme, dira l'Histoire, première torche humaine d'une longue série (deux autres étudiants tchèques s'immolèrent dans l'année), brûlant sur une place, symboliquement, pour remettre la liberté au centre de la vie publique.
Passons sur l'été 70 et une traversée du désert de deux mois, littéralement, dans le Sahara algérien, le temps de découvrir qu'à 20 ans on peut être suspect et faire du debout-assis durant trois heures dans un commissariat lugubre d'Algérie, simplement parce qu'on porte le même patronyme qu'un certain lieutenant des paras et activiste de l'OAS, pourtant fusillé huit ans auparavant... Les rancunes policières et militaires sont tenaces, au pays du FLN de Boumédiène et de Bouteflika. Ailleurs aussi, sans doute.

... Le 18 décembre 70, le nommé Florian, fonctionnaire de l'ambassade tchécoslovaque à Bruxelles, me délivrait son visa pour un premier séjour d'une semaine au pays du printemps de la révolution. Trois jours plus tard, avec Yvon, mon nouveau copain d'école sup' qui avait déjà des contacts sur place, y étant venu dès 69, je franchissais en voiture la frontière germano-tchèque à Rozvadov pour aller passer Noël à Prague.
Souvenirs émus d'une jeunesse bien réveillée, muselée mais pas résignée, admirable de stoïcisme dans son combat secret pour la liberté. Par exemple notre ami Tomaš V., futur grand journaliste et proche du dissident Havel, membre discret de ce qui deviendrait la Charte 77, en théorie docteur en philosophie et en psychologie, en pratique assistant social auprès des Roms, mais surtout important éditeur clandestin... et monteur de pavillons préfabriqués parce qu'il fallait bien vivre!
Vague réminiscence de l'underground praguois en concert dans un sous-sol bondé, proche de Laterna Magika et de Václavské Náměstí. Souvenirs fugaces de chambres d'étudiants, l'une chaleureuse et ornée d'un autocollant frondeur sur le palier, « This way to the orgy! », l'autre glaciale mais arborant la célèbre affiche française d'un groupe de travailleurs stylisés en rouge, avec un poing levé en guise de point d'exclamation: « Nous sommes le pouvoir!» Ici, enfin, loin de la fausse insouciance de nos vieilles démocraties, nous avions l'impression, paradoxalement réconfortante, que les jeunes se battaient pour vivre, sinon même pour survivre. Avec de vraies raisons de résister, au nom de la Liberté.
Pourtant il allait leur falloir près de vingt ans encore, l'âge d'une nouvelle génération d'étudiants libertaires, pour déchirer le Rideau de Fer et voir chuter enfin, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989, l'abominable Mur de Berlin.

Une vingtaine d'années plus tard, l'histoire se répète. Une nouvelle torche humaine met le feu aux poudres, le 17 décembre, sur la place publique de Sidi Bouzid, en Tunisie. Mohamad Bouazizi, jeune chômeur de 28 ans qui protestait ainsi contre l'oppression policière locale et des conditions de vie dégradantes, décède le 4 janvier 2011 des suites de ses brûlures. Mais son geste désespéré est le signal de la révolte dans tout le monde arabe, comme ce fut le cas naguère dans les pays de l'Est. A cette différence près que tout va désormais plus vite, beaucoup plus vite. Aujourd'hui, les téléphones mobiles filment tout en direct, Internet est là, Internet relaye, les blogs racontent, librement, tandis que les réseaux sociaux, Facebook, Twitter, chauffent, anticipent, constatent, rapportent en temps réel, font monter la pression. Font la Révolution 2.0. On parle même sur Twitter des « facilitateurs de révolution ». Révolution verte ou de jasmin, qu'importe puisque, de toute façon, il faut que ça bouge. Puisque ça bouge, partout!
Rien n'est intangible à présent, tout peut basculer du jour au lendemain.
Tunisie, Egypte, Yemen, Bahrein, Algérie, Iran, Maroc, Lybie, et la liste n'est pas close...
Sentiment excitant, mais responsable, de vivre en direct, comme jamais auparavant, même à distance – car la distance virtuelle ne compte plus, ou presque, si ce n'est pour celles et ceux qui sont atteints par les balles, bien réelles celles-là - une révolution mondiale sans précédent contre toute forme de pouvoir tyrannique ou seulement autocratique. Des dizaines de milliers d'obscurs émules de Jan Palach agissent ainsi de concert, menant la fronde cybernétique sous le masque révolutionnaire de Guy Fawkes et la silhouette protéiforme d'Anonymous. Voire à visage découvert.
Le dimanche 20 février, c'est un jeune et courageux informaticien lybien qui, face caméra (sa webcam), adresse son appel à l'aide internationale, aussitôt rediffusé planétairement sur Youtube, à une correspondante de la BBC Worldwide, sans crainte des folles fureurs du Colonel Khadafi ou de son fils Saif, le Glaive : « Je ne sais pas si je serai encore en vie dans 5 minutes. Non, je n'ai pas peur de mourir, j'ai seulement peur de perdre la bataille ».( Lire note du 21 mars 2011 en rouge ci-dessous)
Peut-être certains de nos contemporains n'en ont-ils pas encore pris conscience mais, pour les plus jeunes, c'est une partition* d'histoire mondiale qui est en train de s'écrire. Autant sinon davantage que la révolte des populations arabes, c'est leur révolution en ligne pour la liberté des générations actuelles et futures. C'est vraiment, réellement autant que virtuellement, le temps de la Révolution 2.0.
(JD)


 "I'm Not Sure I'll Be Alive in Five Minutes"Ce courageux blogueur dont j'avais relevé les paroles, traduites à partir de son interview en ligne sur Street Press, s'appelait Mohammed "Mo" Nabbous. Il rendait compte en images de la révolution depuis Benghazi. Il disait ne pas craindre la mort. Il a été tué le samedi 19 mars par un sniper des forces pro-khadafistes, comme en témoigne la page Wikipédia qui lui est désormais consacrée, en hommage à son engagement. Qu'il repose en paix.    
>>> La vidéo dans laquelle "Mo" témoigne en direct : http://fdl.me/fDXSMB


*Avec un petit bémol cependant, sur cette partition historique. Car en Belgique, dans le même temps, les jeunes Belges en mal de gouvernement font, en rigolant et faute de mieux, la « révolution des frites » contre le #NoGov. Lancée par les réseaux sociaux aussi, voilà une fausse colère à la belge, un brin surréaliste et guère plus méchante qu'une bonne vieille marche blanche (avatar national de l'expression publique du mécontentement populaire), une poussée allergique probablement assez drôle aux yeux des médias internationaux. Mais si les frites ne sont pas bien cuites, cela pourrait vite passer pour une (parodie de) révolution molle, voire une faiblesse génétique de notre colonne vertébrale démocratique... Dans un pays où l'on n'a plus fait de vraie révolution depuis près de deux cents ans et où la démocratie du consensus fonctionne jusqu'à l'absurde, c'est peut-être normal. Et sans doute, pour la paix sociale du moins, préférable.
On est en tout cas très loin, ici d'un « mouvement révolutionnaire s'inscrivant dans cette recherche éperdue de « bonheur public » ou de la « liberté publique » telle que la définissait Hannah Arendt, depuis l'époque des Lumières, et qui peut-être en forme la conclusion »3.

1http://www.alalettre.com/eluard-oeuvres-liberte.php
2« Les murs ont la parole », Journal mural, Julien Besançon, Paris, Tchou éditeur, 1968, 2007.  
3 In Michel Wlassikoff, Mai 68, l'affiche en héritage, Paris, Editions Alternatives, 2008, p. 23. http://fdl.me/fDXSMB